La neuvaine
Une
neuvaine (du latin novem, neuf) est dans l'Église catholique romaine
une dévotion privée ou publique de neuf jours, destinée à obtenir des
grâces déterminées.
Tandis
que l'octave a un caractère joyeux et plus festif, la neuvaine combine
le deuil et l'espoir, elle est empreinte de soupir et de prière.
« Le
chiffre neuf dans l'Écriture sainte marque la souffrance et le
chagrin » (Saint Jérôme, dans Ézech., VII, 24; - P.L., XXV, 238, cf.
XXV, 1473).
La
neuvaine est permise, voire recommandée par l'autorité ecclésiastique,
mais n'a toujours pas trouvé sa place exacte dans la liturgie de
l'Église.
Elle n'en a pas moins été de plus en plus appréciée et en usage chez les fidèles.
On
peut distinguer quatre sortes de neuvaines : les neuvaines de deuil, de
préparation, de prière et les neuvaines indulgenciées, bien qu'une
telle distinction ne soit pas exclusive.
Histoire
Chez
les Juifs il n'existe aucune célébration religieuse de neuf jours ni de
deuil de neuf jours ni de commémoration le neuvième jour suivant la
mort ou l'ensevelissement de parents et d'amis. C'est le chiffre sept
qui intervenait (et intervient) dans la plupart des prières. Au
contraire, nous trouvons parmi les Romains de l'Antiquité une
célébration religieuse officielle de neuf jours dont Tite-Live rapporte
l'origine (I, XXXI). Après que des pierres furent tombées du ciel sur le
mont Albain, on procéda à un sacrifice officiel de neuf jours pour
apaiser les dieux et éviter le mal, que ce fut à la suite d'un
avertissement d'en haut ou sur l'avis des augures. À partir de ce
moment-là fut faite la même neuvaine de sacrifices chaque fois que l'on
annonçait un prodige du même genre (cf. Tite-Live, XXI, LXII; XXV, VII;
XXVI, XXIII etc.)
Outre
cette coutume, il existait aussi chez les Grecs et les Romains celle
d'observer un deuil de neuf jours, avec une cérémonie spéciale le
neuvième jour, après la mort ou l'ensevelissement. Tout cela pourtant
relevait plutôt du domaine privé ou familial (v. Homère, Iliade, XXIV,
664, 784; Virgile, Énéide, V, 64; Tacite, Annales, VI, v.). Les Romains
célébraient aussi leur parentalia novendialia, une neuvaine annuelle (du
13 à 22 février) pour commémorer tous les membres défunts de leurs
familles (v. Mommsen, Corp. Inscript. Latin., I, 386 sq.). La
célébration se terminait le neuvième jour par un sacrifice et un banquet
joyeux. On trouve une référence à cette coutume dans les lois de
l'empereur Justinien (Corp. Jur. Civil. Justinian., II, Turin, 1757,
696, tit. XIX, De sepulchro violato), où il est interdit aux créanciers
de déranger les héritiers de leur débiteur pendant neuf jours après sa
mort. Saint Augustin (P.L., XXXIV, 596) conseille aux chrétiens de ne
pas imiter cette coutume païenne dont l'Écriture sainte ne donne aucun
exemple. Par la suite, le Pseudo-Alcuin répète le même conseil (P.L.,
CI, 1278), en invoquant l'autorité de saint Augustin et, de façon encore
plus nette, Jean Beleth (P.L., CCII, 160) au XIIe siècle.
Même Durandus dans son Rationale (Naples, 1478), écrivant sur l'Office
des Morts, remarque que « certains ne l'ont pas approuvé, afin de ne pas
avoir l'air de singer les coutumes païennes ».
Malgré
tout, dans les célébrations mortuaires chrétiennes, on trouve celle du
neuvième jour avec celles du troisième et septième. Les Constitutiones
Apostolicae (VIII, XLII; P.G., I, 1147) en parlent déjà. La coutume
existait surtout en Orient, mais on la trouvait aussi chez les Francs et
les Anglo-Saxons. Même si elle se rattachait à une pratique païenne
antérieure, elle ne comportait quand même aucune trace de superstition.
Un deuil de neuf jours avec messe quotidienne était naturellement un
luxe, que seules pouvaient se permettre les classes les plus élevées.
Les princes et les riches ordonnaient pour eux-mêmes une telle cérémonie
dans leurs testaments ; et de tels ordres se retrouvent même dans les
testaments de papes et de cardinaux. Au Moyen Âge déjà, la neuvaine de
Messes pour papes et cardinaux était un usage. Par la suite la
célébration mortuaire pour les cardinaux ne cessa de se simplifier,
jusqu'à ce que finalement elle fut réglée et fixée par la Constitution
Praecipuum de Benoît XIV (le 23 novembre 1741). Pour les défunts
pontifes on retint le deuil des neuf jours qui ainsi en vint à être
appelé tout simplement (v. Mabillon, Museum Italicum, II, Paris, 1689,
530 sqq., Ordo Roman'XV ; P.L., LXXVIII, 1353; Const.In eligendis de Pie
IV du 9 octobre 1562). L'usage s'est perpétué et se compose
principalement d'une neuvaine de Messes pour les défunts. Un rescrit de
la Sacrée Congrégation des Rites (du 22 avril 1633) nous informe que de
telles neuvaines de deuil, officia novendialia ex testamento, étaient
connues et autorisées de façon générale dans les églises de religieux
(Decr. Auth. S.R.C., 604). Elles ne sont plus d'usage courant, bien
qu'on ne les ait jamais interdites et, de fait, les novendiales precum
et Missarum devotiones pro defunctis ont été au contraire approuvés par
Gregoire XVI (le 11 juillet 1853 [sic]) et enrichis d'indulgences pour
une confrérie agonizantium en France (Resc. Auth. S.C. Indulg., 382).
Outre
la neuvaine pour les morts, nous trouvons pendant le Haut Moyen Âge la
neuvaine de préparation mais, au début, seulement avant Noël et
seulement en Espagne et en France. Elle avait son origine dans les neuf
mois que Jésus avait passés dans le ventre de sa mère, de l'Incarnation à
la Nativité. En Espagne le dixième concile de Tolède de 656 transféra
pour le pays entier l'Annonciation au 18 décembre (Cap. I ; Mansi, Coll.
Conc., XI, 34), comme la fête qui préparait le mieux à Noël. Il
apparaît ainsi qu'une neuvaine de préparation à Noël a été immédiatement
mise en place pour toute l'Espagne. Quoi qu'il en soit, dans une
question envoyée des Açores (Insulae Angrenses) à la Sacrée Congrégation
de Rites, on en appelait à la « coutume vénérable » de célébrer, juste
avant Noël, neuf messes votives en l'honneur de Notre-Dame. Et puisque
le peuple continuait à participer à cette célébration, l'usage fut
validé (28 septembre 1658; Decr. Auth., 1093). Un Ordinarium français
(P.L., CXLVII, 123) prescrit que la préparation pour Noël, le neuvième
jour, doive commencer par les hymnes O et que chaque jour, au
Magnificat, on encense l'autel et le chœur. L'Ordinarium de Nantes et
l'Antiphonaire de Saint-Martin de Tours, à la place des sept hymnes O
communs, en a neuf pour les neuf jours qui précèdent Noël et ceux-ci
étaient chantés avec une solennité spéciale (Martene, De Antiq. Eccles.
Ritib., III, Venise, 1783, 30). En Italie la neuvaine semble ne s'être
répandue qu'au XVIIe siècle. Enfin, le Praxis caeremoniarum
seu sacrorum Romanae Ecclesiae Rituum accurata tractatio du théatin
Piscara Castaldo, livre approuvé en 1525 par le père général dont
dépendait l'auteur (Naples, 1645, p. 386 et sqq.), donne des directives
complètes pour célébrer la neuvaine de Noël avec exposition du
Saint-Sacrement. L'auteur remarque que cette neuvaine, qui commémore les
neuf mois passés par Jésus dans le ventre de sa mère, a été célébrée
avec solennité dans un grand nombre de lieux en Italie. Et au début du
XVIIIe siècle la neuvaine de Noël tenait une place si
éminente que la Sacrée Congrégation de Rites (7 juillet 1718), dans un
cas spécial, a permis pour elle seulement la célébration solennelle avec
Exposition du Saint-Sacrement (Decr. Auth., 2250).
Mais
avant cela, au moins en Sicile, la coutume était apparue chez les
religieux de préparer la fête de leur fondateur grâce à une neuvaine de
messes ; ces Missae novendiales votivae ont elles aussi (le 2 septembre
1690) étaient autorisées (Decr. Auth., 1843). En général, au XVIIe siècle,
de nombreuses neuvaines avaient lieu, surtout dans les églises de
religieux et elles étaient adressées aux saints des différents ordres
(v. Prola, De Novendialibus supplicationibus, Romae 1724, passim). Deux
cents ans plus tard, à la demande de la Sicile que le Saint-Sacrement
fût exposé au cours de la célébration de neuvaines, une permission
spéciale fut accordée (Decr. Auth., 3728) et dans les décrets sur les
Missae votivae du 30 juin 1896, il est réellement question des Missae
votivae novendiales B.M.V. (Decr. Auth., 3922 V, n. 3). Au moins de
cette manière, alors, la neuvaine obtint sa reconnaissance, même dans la
liturgie.
En
même temps que la neuvaine de préparation, la neuvaine de prière
proprement dite est apparue, semble-t-il, chez les fidèles qui, dans
leur détresse, s'adressaient aux saints avec une neuvaine, surtout dans
le but de recouvrer la santé. Le foyer d'origine de cette neuvaine doit
avoir été la France, la Belgique et la vallée inférieure du Rhin. On
remarque surtout jusqu'à l'an 1000 les neuvaines à saint Hubert, à saint
Marcoult et saint Momble. Ce dernier était considéré comme le patron
particulier pour les maladies de la tête et du cerveau; les neuvaines
qu’on lui adressait se faisaient surtout dans le monastère de
Sainte-Croix à Bordeaux, où le saint était enterré (Mabillon, Act.
Sanct. O. S. B., II, Venise, 1733, 645 sqq .; Acta SS., août, II, 351
sqq .; Du Cange, "Glossarium", s.v. " Neuvaine"). C'est saint Marcout
qui avait accordé aux rois de France le pouvoir de guérir les écrouelles
en touchant les malades avec leur main. À cette fin, peu après leur
couronnement et leur onction à Reims, ils devaient aller en personne en
pèlerinage au tombeau de saint Marcout à Corbeny et y faire une
neuvaine. Ceux qui par la suite étaient guéris devaient faire une
neuvaine analogue. Mais la neuvaine la plus connue est celle à saint
Hubert, qui de nos jours existe encore. Elle visait à sauver les
personnes mordues par un chien ou un loup enragé (Acta SS., novembre, I,
871 sqq.).
La
dernière de ces neuvaines a été critiquée plus tard, particulièrement
par les Jansénistes, et rejetée comme superstitieuse (v. Acta SS., loc.
Cit., où on cite la critique et où on justifie la neuvaine). Plus tôt
Gerson, au XIVe siècle, avait mis en garde contre l'abus
superstitieux de cette neuvaine. Mais il ne rejette pas les neuvaines en
général et ses travaux nous montrent que de son temps elles s'étaient
déjà répandues(Opera, Paris, 1606, II, 328; III, 386, 389). Mais en
dépit de l'avertissement de Gerson, les neuvaines ont été depuis cette
époque de plus en plus en faveur auprès des fidèles, et leurs nombreux
effet, parfois miraculeux, n'y ont pas peu contribué. Benoît XIV (De
canonizat. Sanct., lib. IV, p. II, c. xiii, n. 12) parle d'un certain
nombre de miracles de ce genre cités dans les procès de canonisation.
Les catholiques savent de leur propre expérience que la neuvaine n'est
nullement une coutume païenne et superstitieuse, mais un des meilleurs
moyens d'obtenir des grâces célestes par l'intercession de la Vierge et
de tous les saints. La neuvaine de prière est ainsi une sorte de prière
qui porte en elle, pour ainsi dire, comme une promesse d'être entendu,
la confiance et la persévérance, deux qualités les plus importantes pour
l'efficacité de la prière. Même si l'emploi du nombre neuf dans le
christianisme remontait à une utilisation analogue dans le paganisme,
son utilisation ne mériterait aucun blâme et ne montrerait aucune
superstition. Non, bien sûr, que chaque variation individuelle ou chaque
ajout fait dans n'importe quelle neuvaine privée puisse être par là
justifié ou défendu. On peut abuser de la coutume la plus sainte, mais
l'utilisation du chiffre neuf peut être non seulement justifiée, mais
même interprétée dans le meilleur sens.
Le
chiffre dix est le plus élevé, le numerus maximus, autrement dit le
plus parfait, celui qui convient à Dieu ; le chiffre neuf, un dix qui
n'a pas réussi, est le chiffre de l'imperfection, celui qui convient à
la nature mortelle. C'est en ce sens d'une certaine façon que les
Pythagoriciens, Philon le Juif, les Pères de l'Eglise, et les moines du
Moyen Âge, ont philosophé sur le sens du nombre de neuf. Voilà pourquoi,
il était adapté pour être utilisé lorsque l'homme dans son imperfection
adresse sa prière à Dieu (cf. Jérôme, loc. cit.; Athénagoras, Plaidoyer
pour les chrétiens; Pseudo-Ambroise, PL, XVII, 10 sq, 633; Raban Maur,
PL, CIX, 948 sq, CXI, 491; Angelomus Monach., in Lib. Reg. IV, PL, CXV,
346, Philon le Juif, Lucubrationes, Bâle, 1554, p. 283).
Dans
la neuvaine de deuil et la messe du neuvième jour, on rappelait au
Moyen Âge que le Christ avait rendu l'âme dans une prière à la neuvième
heure, comme dans les livres pénitentiels (v. Schmitz, Die Bussbucher
und die Bussdisciplin, II, 1898, 539, 570, 673), ou on remarquait que,
par le biais d'une messe au neuvième jour, on marquait le départ
jusqu'aux rangs des neuf chœurs des anges (v. Beleth, loc. cit. ;
Durandus , loc. cit.) Pour l'origine de la neuvaine de prière, nous
pouvons attirer l'attention sur le fait que la neuvième heure dans la
synagogue, de même que la none dans l'Église chrétienne était dès le
début une heure de prière, de sorte qu'elle a été comptée parmi les
« heures apostoliques » (v. Actes 3:1 et 10:30 et sqq. ; Tertullien, Sur
le Jeûne 10 ; v. Sur la prière 25).
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