Le mois de Marie
ou méditations sur sa vie, ses gloires et sa protection
Source : Livre "Le mois de Marie ou méditations pour chaque jour du mois sur sa vie, ses gloires et sa protection" par Aleksander Jełowicki
DE L'HUMILITÉ ET DE LA DOUCEUR DE MARIE.
Saint
Thomas nous dit : Que de tous les saints du Seigneur il n'y en a aucun
qui brille d'un plus vif éclat par une vertu particulière ; mais que
Marie, comme reine de tous les saints, les domine tous par toutes les
vertus. C'est pour cela que saint Ambroise nous invite à contempler
toujours la sainte Vierge, car elle est le miroir de justice qui reflète
le plus exactement l'image de Notre-Seigneur, et que c'est sur elle que
nous devons chacun modeler notre cœur, afin qu'enfants de Marie, nous
ressemblions de plus en plus à notre divine mère. Car, selon que l'a dit
un autre serviteur de Dieu, « les imitateurs de Marie sont les seuls
enfants de Marie. »
Or donc, la première vertu que nous devons imiter dans Marie, c'est la vertu de l'humilité.
L'humilité,
dit saint Cyprien, c'est l'introduction à la vie dévote, le soutien des
autres vertus, l'attrait de l'âme qui cherche à plaire à Dieu ; car
l'humilité n'est que la confession de ces deux vérités : que nous ne
pouvons faire rien de bon par nous-mêmes, et que tout ce qui est bon
nous vient de Dieu. « Vous ne pouvez rien faire sans moi ('), » dit le
Seigneur. Et saint Paul nous le dit en ces termes : « Qu'avez-vous que
vous n'ayez reçu ! Et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en
glorifiez-vous, comme si vous ne l'aviez point reçu (2) ? » Ainsi
l'humilité évoque nécessairement le sentiment et l'aveu de notre nullité
: « Si quelqu'un s'estime être quelque chose, il se trompe lui-même,
parce qu'il n'est rien (3). »
Toutes
les fois qu'un homme qui n'est pas aveuglé par le péché se retrace dans
sa mémoire tous les bienfaits de la création, par lesquels Dieu nous a
tirés du néant et nous a comblés de ses dons ; toutes les fois qu'il
songe aux bienfaits de la rédemption, par lesquels, au prix de son sang,
Dieu nous a relevés de notre chute, et a remis entre nos mains tous les
moyens nécessaires pour obtenir le salut éternel ; toutes les fois
qu'il considère les bienfaits de la grâce sanctifiante, par laquelle de
vils et méprisables pécheurs, à condition du repentir seul, Dieu nous
élève du péché à la sainteté, de la terre au ciel, et de l'humanité
jusqu'à la divinité ; toutes les fois qu'il le médite, l'homme s'abîme
et se perd dans l'infini de la bonté et de la miséricorde divine ; et,
saisi d'étonnement, il s'écrie avec sainte Elisabeth : « D'où cela me
vient-il ! d'où cela me vient-il ! » Accablé par l'immensité des grâces
divines, il se plonge de plus en plus dans le sentiment de l'humilité ;
il avoue sa nullité et sa méchanceté, il adore la bonté divine, il
pleure ses iniquités ; honteux et contrit, il s'humilie devant son
Créateur et son Rédempteur ; il s'humilie même devant toute créature ;
il s'humilie d'autant plus, qu'il avait plus reçu de Dieu, qu'il avait
plus offensé Dieu, et qu'il espère plus de Dieu.
L'humilité est donc un devoir pour tout homme.
Par
l'humilité nous entrons en Dieu, en l'emmenant dans nos cœurs ; de même
que par l'orgueil nous sortons hors de Dieu, en l'éloignant de nous ;
car « Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles ('). »
L'humilité est donc notre principale richesse, la condition nécessaire
de notre salut ; sans humilité nous ne sommes que des cadavres vivants,
des sépulcres blanchis.
L'humilité,
reconnaissant que par elle-même elle n'est rien, elle ne se recherche
pas elle-même, elle ne recherche que Dieu, sachant que tout vient de
Dieu, espérant tout de Dieu. L'humilité ne désire point sa gloire, mais
la gloire de Dieu ; et voilà pourquoi elle est la base et la source de
toutes les vertus. L'humilité possède la foi vive, car elle soumet sa
raison au distributeur de la raison, qui est Dieu. L'humilité possède
l'espérance, car elle n'a pas confiance en elle-même, mais en Dieu.
L'humilité possède la charité sans bornes, car n'aimant rien en elle,
mais en Dieu, et ne s'attachant à aucune chose créée, elle aime toutes
les choses créées en vue du Créateur, puis elle aime le Créateur de tout
son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces ; enfin, comme elle
est vide d'elle-même et de toute autre chose, elle est remplie du feu de
l'amour de Dieu, qui la saisit, l'entoure, la pénètre, la ravit et
l'embrase ; de sorte que l'âme humble ne vit pas pour elle-même, mais
pour Dieu et en Dieu. Aussi l'humilité se complaît dans la pauvreté, par
amour de Dieu ; elle garde la chasteté pour complaire toujours à Dieu ;
elle se nourrit d'obéissance, mettant toute sa sécurité et toute sa
joie dans l'accomplissement de la volonté de Dieu. Elle est
reconnaissante pour toute chose, sachant que rien ne lui est dû ; elle
est vaillante et courageuse, car elle ne compte pas sur elle-même, mais
sur Dieu ; elle est laborieuse, car elle sait qu'elle doit rendre compte
à Dieu ; elle est pénitente, car elle sent son indignité et tremble de
se trouver en faute ; elle est patiente, puisqu'elle sait qu'elle a
mérité bien plus de souffrances ; elle ne s'élève audessus de personne,
elle ne se compare à personne ; elle ne se plaint de rien et ne s'étonne
d'aucune injustice à son égard ; au contraire, elle s'étonne des
louanges qu'on lui donne, de l'estime qu'on lui témoigne. Et c'est ainsi
que l'humilité est l'introduction, le soutien et le charme de toutes
les vertus.
Et
voici pourquoi Jésus-Christ insiste pour que nous possédions cette
vertu : « Apprenez de moi, nous dit-il, que je suis doux et humble de
cœur ('). »
Oui,
Seigneur ! nous le désirons bien ; mais vous, ô Marie ! qui l'avez le
mieux appris, apprenez-nous comment nous devons l'apprendre de notre
Seigneur Jésus-Christ.
II.
«
Quiconque veut bâtir une tour bien haute, doit creuser des fondements
bien profonds, » dit saint Grégoire. La tour que nous avons à bâtir doit
atteindre jusqu'au ciel ; car il s'agit pour nous de conquérir le ciel.
Cette entreprise doit donc nous faire comprendre combien notre humilité
doit être profonde, puisque c'est elle qui doit en être le fondement !
Ah ! travaillons, travaillons sans relâche à creuser ce fondement, car
le temps est bien court et le terrain bien dur. Plus nous aurons creusé
dans l'humilité, plus notre tour s'élèvera vers le ciel ; car c'est en
proportion de notre humilité que Dieu nous aura remplis de sa grâce : «
Quiconque s'abaisse sera élevé (2). » Et si nous nous abaissions comme
Marie, nous serions comme elle remplis de toutes les vertus, et comme
elle élevés vers Dieu.
0
tour de David ! tour d'ivoire, dont le sommet atteint jusqu'au plus
haut des cieux ! O sanctuaire privilégié que Dieu habite à cause de
votre humilité, faites que nos cœurs deviennent par la vertu de
l'humilité des demeures propres à recevoir les grâces de Dieu, qu'il
refuse aux superbes et qu'il accorde aux humbles, comme vous le
proclamez vous-même dans l'hymne de votre humilité, en disant : «Il a
renversé les grands de leurs trônes et il a élevé les petits. Il a
rempli de biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui
étaient riches ('). »
Bien
que Dieu se soit complu dans Marie, à cause de tous ses charmes, comme
il est dit dans le Cantique des cantiques : « Vous êtes toute belle, ma
bien-aimée (2). » — « Cependant, dit saint Jérôme, c'est à cause de
l'humilité de Marie, de préférence à toute autre vertu, que Dieu a voulu
prendre naissance dans son sein virginal (3). » Et Marie même le
confesse en disant : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est
ravi de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de
sa servante (4). » — « Il n'a pas regardé seulement sa virginité et son
innocence, mais aussi son humilité profonde (r'), » dit saint Laurent
Justinien. « Son humilité, c'est-à-dire son anéantissement ('), ajoute
saint François de Sales.
Dieu
a regardé Marie, parce qu'elle reconnaissait sa bassesse : voici
pourquoi il l'a bénie et l'éleva au-dessus de toutes les créatures,
parce que de toutes les créatures elle était la plus humble ; voici
pourquoi il a fait en elle de grandes choses, qu'elle ne pouvait
exprimer elle-même, car l'humilité de Marie a été si profonde, que la
langue humaine ne saurait le dire. Marie, la plus humble de toutes les
créatures, ayant par son humilité mérité d'être élevée à la plus haute
dignité de la création, à la dignité de mère de Dieu, n'en devint que
plus humble ; car les grandes choses que Dieu lui a faites l'avaient
encore abaissée. Elle a disparu dans le Seigneur ; elle ne se voit et ne
se sent plus ; elle ne voit que Dieu, elle ne se sent qu'en Dieu, elle
ne chante que Dieu. « Mon âme, dit-elle, glorifie le Seigneur et mon
esprit est ravi de joie eil Dieu mon Sauveur (2). »
C'est
ainsi que Marie a mérité, par la plus profonde humilité, les grâces les
plus élevées ; et plus elle en recevait de Dieu, plus elle s'abaissait
elle-même. Elle s'abaissait devant Dieu, comme le mendiant devant le
riche qui l'assiste largement. Elle s'abaissait devant les hommes, en
allant la première visiter Elisabeth, en cachant à Joseph son privilége
de mère de Dieu. Elle s'abaissait devant le monde entier, en
accomplissant la cérémonie de la purification, qui voilait aux yeux de
tous le don de virginité uni à celui de maternité, et de maternité
divine. Elle s'abaissait partout et toujours, car nulle part elle ne
cherchait de gloire pour elle-même. Et ce n'est qu'à la croix, où il ne
s'agissait plus de gloire, mais du mépris des hommes, mépris qu'elle y
trouva ; ce n'est qu'au pied de la croix qu'elle se manifeste comme mère
de celui que les hommes ont condamné comme un malfaiteur et qu'ils
exécutaient comme un criminel. Elle s'abaissait enfin devant elle-même :
elle estimait qu'elle n'était rien ; elle sentait qu'elle n'était rien.
Et c'est ce qu'il y a de plus difficile pour nous, et ce n'est facile
qu'aux âmes qui, comme Marie, glorifient le Seigneur et non elles-mêmes :
« Mon âme glorifie le Seigneur ('). »
Et
mon âme, qui glorifie-t-elle, du Seigneur, ou du serviteur ? Est-ce
Dieu, ou elle-même ? Et mon esprit, en qui est-il ravi ? Est-ce en Dieu,
qui est son Sauveur, ou en lui-même, qui est son propre ennemi ?
0
Marie ! qui par votre humilité avez donné Dieu aux hommes et les hommes
à Dieu. 0 Marie ! qui par votre bienheureuse humilité avez vaincu
l'enfer et nous avez conquis le ciel ! 0 Marie la plus humble ! que
deviendrai-je, moi, le plus orgueilleux, si votre humilité ne triomphe
de mon orgueil !
III.
«
Que vous êtes belle ! ma bien-aimée, que vous êtes belle ! vos yeux
sont ceux des colombes ('). » Ces yeux de colombe, dont la beauté ravit
Dieu même, ce sont la douceur et l'humilité. La douceur et l'humilité,
voilà les deux yeux fermés au monde et ne regardant que le ciel : voilà
les deux ailes qui, sans le moindre bruit, emportent l'àme vers Dieu ;
voilà les deux rayons qui éclairent l'âme et l'unissent à Dieu ; voilà
les deux chemins divins par lesquels le Saint-Esprit descend dans l'âme.
La douceur et l'humilité étaient dans Marie cette perle précieuse avec
laquelle elle acheta le ciel et Dieu lui-même. La douceur et l'humilité
étaient dans Marie le parfum du souffle de Dieu.
Douce
comme la rosée du printemps, Marie a passé sa vie entière dans la plus
humble modestie. On ne l'entendait pas plus qu'on n'entend le cours des
planètes ; et comme les planètes accomplissent silencieusement leur
révolution au milieu de l'azur des cieux, de même Marie pratiquait en
silence toutes ces vertus sublimes, dont l'éclat se rèflétait sur le
fond d'azur de son humilité, et feront éternellement l'admiration du
monde. Chantait-elle, c'était à Dieu. Se plaignait-elle, c'était
d'amour. Pleurait-elle, c'était sur nous. Priait-elle, c'était pour
nous. Elle chantait à Dieu, du fond de son âme bienheureuse : « Mon âme
glorifie le Seigneur (') ! » Elle n'a soupiré qu'une seule plainte,
c'est quand, après avoir retrouvé Jésus après sa disparition, elle lui
dit, dans l'effusion du chagrin qu'elle en avait éprouvé ainsi que
Joseph, et encore plutôt par ses larmes que par ses paroles : « Mon
fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? Voilà votre père et moi
qui vous cherchions tout affligés (2). »
Son
âme pleurait toujours, mais en secret, tout bas. Elle pleurait les
souffrances de Jésus ; elle pleurait sur nos péchés et sur nos
ingratitudes ; car c'était là vraiment le glaive qui transperçait son
âme. Marie priait, mais ce n'était pas pour demander, même à son fils,
des biens terrestres pour elle : elle demande tout pour nous, quand même
nous ne lui demandons rien ; comme elle a fait aux noces de Cana, où,
voyant que le vin venait à manquer aux époux, elle dit à Jésus, bien
qu'on ne le lui demandât pas : « Ils n'ont point de vin (s), » et Jésus
leur procura miraculeusement du vin, l'accordant à l'instant à la prière
de Marie.
Et
nous aussi, o Marie ! nous n'avons point de vin, et nos vases ne sont
remplis que d'écume et dé vinaigre. 0 notre mère ! vous savez bien quel
est le vin qu'il nous faut. Dites tout bas à Jésus : « Ils n'ont point
de vin, » et dites-nous, à nous, tout haut, car nous sommes sourds à
votre voix, dites-nous bien haut quels sont les vases que nous devons
préparer pour recevoir ce vin, et de quoi devons-nous les remplir.
Marie ne désire d'autres vases que nos cœurs, elle veut que nous les remplissions de l'eau limpide de l'humilité, avec laquelle son fils fera, par l'effet de sa grâce, du vin excellent, vin de charité, qui servira pour notre festin éternel.
Marie ne s'est jamais plainte ni de l'ingratitude
des hommes, ni des persécutions, ni du glaive dont nous avons percé son
âme, car son humilité absorbait sa douleur. A côté de cette douceur de Marie, voyons figurer nos murmures et nos plaintes, nos disputes et nos querelles, nos prétentions, nos clameurs, et nos vanteries...
0 vous si douce ! ô vous si paisible ! calmez-nous Marie ! apaisez-nous ! pour que nous puissions entendre le chant humble et doux de votre cœur, et que nous puissions l'accompagner aussi, en chantant avec vous, du fond de nos cœurs, cette hymne à la gloire de Dieu, à notre propre néant : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur. »
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