Le mois de Marie
ou méditations sur sa vie, ses gloires et sa protection
Source : Livre "Le mois de Marie ou méditations pour chaque jour du mois sur sa vie, ses gloires et sa protection" par Aleksander Jełowicki
POUR LE 23ème JOUR DU MOIS.
DE LA PAUVRETÉ DE MARIE.
I.
«
Tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou
concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ; ce qui ne vient point du
Père, mais du monde ('). » Le saint Évangéliste désigne ainsi toutes les
tentations auxquelles nous sommes tous exposés par suite du péché
originel. Pour nous rendre maîtres de ces trois principales tentations,
Jésus-Christ nous a laissé trois armes différentes, trois conseils
évangéliques, savoir : pour vaincre la concupiscence des yeux, la
pauvreté volontaire ; pour vaincre la concupiscence de la chair, la
chasteté volontaire ; et pour vaincre l'orgueil de la vie, l'obéissance
volontaire. Par la pauvreté volontaire, nous renonçons aux biens du
monde, par conséquent à tout ce qui pourrait tenter nos yeux ; par la
chasteté volontaire, nous renonçons aux jouissances du corps, par
conséquent à tout ce qui pourrait nous tenter du côté du corps ; par
l'obéissance volontaire, nous renonçons à toute envie de commandement,
de domination, de distinction et fie gloire, par conséquent nous
étouffons en nous l'orgueil de la vie.
Notre
Seigneur Jésus-Christ nous a laissé dans sa vie même le plus parfait
modèle de ces trois vertus de la perfection chrétienne ; et il dota
Marie d'une manière toute particulière de ces mêmes vertus, autant pour
notre exemple que pour son mérite particulier.
Libre
de toute concupiscence, car elle fut libre du péché originel, Marie
s'est complue dans ces vertus ; c'est qu'elle voulait par la pauvreté
volontaire sacrifier à Dieu le monde entier et les biens de ce monde,
par la chasteté les biens de son corps, et par l'obéissance les biens de
son âme. Ainsi, le sacrifice de Marie fut complet, absolu et parfait.
Et nous, enfants de Marie, nous pouvons aussi à l'exemple de Marie, de
cette mère divine, grâce à son intercession, et dans la mesure de la
grâce de Dieu, faire le même sacrifice.
Il
n'y a pas au monde de trésor comparable à la pauvreté volontaire, car
elle nous assure le royaume des cieux. « Bienheureux les pauvres
d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux ('). » C'est la
béatitude que Jésus-Christ mit en tête de toutes ses béatitudes. Il
consacra la vertu de la pauvreté par sa pauvreté personnelle, depuis la
crèche de Bethléem jusqu'à son tombeau ; et en se faisant pauvre pour
nous, il déposa tousses trésors dans sa pauvreté, qu'il nous laissa
comme un exemple à suivre : « Car vous savez, dit l'Apôtre, quelle est
la bonté de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s'est rendu
pauvre pour l'amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa
pauvreté ('). » . Et comment pouvons-nous devenir riches par la pauvreté
de Jésus, si ce n'est en nous rendant pauvres d'esprit ? Car le Christ
ne s'est rendu pauvre que pour assister les pauvres. « Il a rempli de
biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient
riches (2). » Car il n'apporta son Évangile qu'aux pauvres, ce qu'il
déclara lui-même aux disciples de Jean, comme l'irrécusable preuve de sa
mission : « Que l'Évangile est annoncé aux pauvres (3). » Car enfin il a
fait de la pauvreté volontaire la principale condition de la perfection
chrétienne ; ce qu'il nous indique clairement par le conseil qu'il
donne au jeune homme qui observait fidèlement les commandements de Dieu,
et qui demandait à Jésus « ce qui lui manquait encore. Jésus lui dit :
Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et le donnez
aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; puis venez et me
suivez ('). »
L'esprit
de pauvreté vivifie la foi, augmente l'espérance, développe la charité
et prépare merveilleusement à la douceur, à l'humilité et à la patience.
Le
pauvre d'esprit dans le sens évangélique est celui qui ne désire point
les biens du monde, mais les biens célestes ; aussi dans la sincérité du
cœur adresse-t-il à Dieu les paroles du Psalmiste : « Car qu'y a-t-il
pour moi dans le ciel, et que désirai-je sur la terre, sinon vous (2) ? »
Le
pauvre d'esprit est celui qui se regarde comme débiteur de toute chose
envers Dieu ; et plus il a reçu de Dieu, plus il se reconnaît pauvre ;
car il se sent d'autant plus débiteur envers Dieu, son créancier, dont
il possède tout, et auquel il doit rendre compte de tout, jusqu'à la
dernière obole.
Le
pauvre d'esprit est celui qui, pauvre des richesses du monde, ne tient
pas à les acquérir, et qui, riche des richesses du monde, ne tient pas à
les posséder ; suivant cet avis du Psalmiste : « Si vous avez beaucoup
de richesses, gardez-vous bien d'y attacher votre cœur (3); » et
redisant avec le Sage du Seigneur, qui était en même temps le plus riche
des hommes : « Que les trésors de ce monde ne sont que vanité et
affliction d'esprit ('). »
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que cette pauvreté est une tâche difficile pour le riche, puisque notre
Sauveur même l'a dit : « Il est plus aisé à un chameau de passer par le
trou d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume
des cieux (2). » Combien donc les riches doivent-ils exercer en eux
l'esprit de pauvreté, et craindre leurs richesses plutôt que les désirer
! Combien les pauvres doivent-ils bénir Dieu de leur pauvreté ! Mais,
en même temps, ils ont à se rappeler que la pauvreté seule n'est pas
encore la vertu de la pauvreté, elle n'est qu'un moyen pour acquérir
cette précieuse vertu. La vertu de pauvreté, c'est l'esprit de pauvreté,
c'est-à-dire le détachement complet des biens de la terre et de
soi-même, et l'attachement complet aux biens célestes et à Dieu.
Pour
que le pauvre soit vraiment pauvre, c'est-à dire pauvre d'esprit dans
le sens évangélique, il ne doit pas seulement ne pas désirer de biens
terrestres, et ne pas les envier aux riches ; mais encore il ne doit pas
s'enorgueillir de sa pauvreté, « car le pauvre superbe est haï du
Seigneur (3), » dit le Sage.
Les
pauvres d'esprit, enfin, d'après la parole de saint Paul, doivent être «
comme tristes, et pourtant toujours dans la joie ; comme pauvres, et
enrichissant plusieurs ; comme n'ayant rien, et possédant tout ('). »
Effectivement possédant tout, car ils possèdent Dieu.« Le Seigneur est
la part qui m'est échue en héritage (2), » dit le Psalmiste. Or,
posséder Dieu, n'est-ce pas posséder tout ?
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Marie ! obtenez pour nous de votre fils cette pauvreté, qui est une
richesse ; car votre fils, en se rendant pauvre pour nous, a changé la
pauvreté terrestre en trésors célestes.
II.
Si,
selon l'opinion de certains auteurs sacrés, Marie hérita d'un riche
patrimoine; ce qui n'est pas moins certain , c'est qu'aussitôt qu'elle
en fut maitresse, elle distribua tous ses biens aux pauvres, et lit à
Dieu le vœu de pauvreté, comme elle a daigné le révéler elle-même à
sainte Brigitte, en lui disant : « J'avais fait vœu, dès le
commencement, de ne rien posséder au monde ; j'ai distribué tout ce que
j'avais aux pauvres, ne gardant pour moi qu'un modeste vêtement et
quelque nourriture (s). »
Fidèle
à cet esprit de pauvreté, Marie n'hésita pas à épouser Joseph qui était
pauvre ; et, comme l'affirme saint Bonaventure, à entretenir la sainte
famille du travail de ses mains, à l'aide de l'aiguille et du fuseau.
«
Oh ! dans quel dénûment se trouvait Marie au moment de la naissance du
Christ ! s'écrie saint Bernard. Une étable, une crèche, un peu de foin,
quelques langes misérables, tout y respire la pauvreté, glorifiée par
les cantiques des anges. » Les rois et les mages qui étaient venus pour
adorer Jésus offrirent de riches présents ; mais Marie, d'après les uns,
les a fait distribuer aux pauvres par Joseph ; d'après les autres, elle
n'a fait que les toucher, en signe d'acceptation de l'offrande, sans en
accepter le don. Il est certain, dans tous les cas, qu'elle demeura
pauvre, comme par le passé, car le jour de la purification, Marie, selon
la coutume des pauvres, n'offrit que deux tourterelles.
Exilée,
errante, accablée de fatigues, ignorée dans sa retraite, Marie resta
constamment pauvre. Après l'ascension de Jésus, Marie, sa cohéritière du
ciel, hérita de sa pauvreté sur la terre, de sorte qu'elle devint
doublement pauvre. Les révérends Bède et Bupert attestent qu'après
l'ascension de Notre-Seigneur, la sainte Vierge ne vivait que d'aumônes,
distribuées journellement aux veuves ; et qu'elle se réjouissait en
esprit de ce que sa pauvreté fût arrivée au point de se voir condamnée à
vivre ainsi. Et Marie, comme son fils, n'avait pas où reposer sa tête ;
car Jésus-Christ avait dit, en parlant de lui-même : « Les renards ont
des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de
l'homme n'a pas où reposer sa tête ('). » Métaphraste et Nicéphore
témoignent que Marie ne possédait en mourant que deux robes, qu'elle
laissa à des pauvres matrones.
Ainsi,
à l'exemple de son fils, Marie vécut et mourut dans la pauvreté.
Jésus-Christ, riche de son patrimoine éternel, s'est rendu pauvre pour
nous; il vécut et mourut dans la pauvreté, qui fut aussi la pauvreté de
Marie, car l'indigence des enfants est l'indigence des parents.
Béni
soit notre Seigneur Jésus-Christ, qui, de riche qu'il était, s'est
rendu pauvre pour nous ! et bénie soit la sainte mère de Dieu, qui, elle
aussi, s'est rendue pauvre pour nous, afin quenous devenions riches de
la pauvreté du fils et de la mère, en fondant notre richesse sur
l'esprit de la pauvreté ! et qu'ainsi, en toute sécurité, nous puissions
espérer dans le Christ notre Sauveur, selon la parole du prophète : «
En lui espéreront les pauvres de son peuple (2). »
III
Celui
qui ne veut pas hériter de la pauvreté de Marie n'est pas un véritable
enfant de Marie. Qu'un païen, qui ne connaît pas Dieu ; qu'un Juif, qui
attend toujours l'arrivée du Messie (qui doit, à leur dire, distribuer
entre les Juifs tout l'or du monde) ; que ceux-là, dis-je, ne
recherchent que l'or, qu'ils n'aiment que l'or, cela se comprend ; mais
qu'un chrétien, qu'un enfant de Marie, qui est la plus pauvre mère du
plus pauvre homme-Dieu, que celui-là ait la fièvre de l'or !... cela ne
se conçoit pas ; et cependant ce n'est malheureusement que trop vrai et
trop général !
L'avare, qui désire la possession de l'or, ne croit pas en Dieu, n'espère pas en Dieu et n'aime pas Dieu.
Il
ne croit pas en Dieu, dont la Providence prend soin de toute créature,
comme dit le Psalmiste : « Tous, Seigneur, ont les yeux tournés vers
vous, et ils attendent que vous leur donniez leur nourriture dans le
temps propre ('). »
Il
n'espère pas en Dieu, il ne se fie pas en Dieu, qui lui a dit : « Ne
vous inquiétez donc point en disant : Que mangerons-nous ? ou que
boirons-nous ? ou de quoi nous vêtirons-nous ? comme font les païens qui
recherchent toutes ces choses ; car votre Père sait que vous en avez
bosoin. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et
toutes ces choses vous seront données par surcroît (2). »
Il
n'aime pas Dieu, celui qui fait peu de cas de ces paroles du Seigneur :
« Que servirait à un homme de gagner tout le monde et de se perdre
soi-même (') ? Or il est indubitable qu'il se perd, celui qui n'a souci
que de l'or, comme si la vie éternelle ne nous attendait pas, ou comme
si notre séjour ici-bas ne devait pas finir.
L'empressement
démesuré pour les intérêts temporels constitue le péché opposé à la
vertu d'esprit de pauvreté; mais le désœuvrement est aussi un péché. Le
vrai pauvre évangélique est celui qui, après avoir distribué ses biens
aux pauvres, travaille pour les nourrir. On y arrive, observe le
vénérable Bède, si, par amour pour Jésus-Christ, après avoir renoncé aux
biens de ce monde, on travaille afin de se procurer la nourriture pour
soi-même et pour les pauvres, à la sueur de son front, comme le faisait
saint Paul en suivant l'exemple de Marie. « Je n'ai désiré, dit-il, de
recevoir de personne ni argent, ni or, ni vêtement ; et vous savez
vous-mêmes que ces mains, que vous voyez, m'ont fourni, à moi et à ceux
qui étaient avec moi, tout ce qui nous était nécessaire. Je vous ai
montré en toutes manières, qu'il faut soutenir ainsi les faibles en
travaillant, et se souvenir de ces paroles que le Seigneur Jésus a dites
lui-même : qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir (2). » —Et,
dans un autre endroit, le même Apôtre nous engage à ce travail,
lorsqu'on réprimandant ceux qui s'emparent injustement des biens
d'autrui, il dit : « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus ; mais qu'il
s'occupe plutôt à travailler de ses propres mains à quelque ouvrage bon
et utile, pour avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence
('). »
Marie
a de son exemple prévenu ce conseil. Du travail de ses mains elle
gagnait sa nourriture et de quoi Subvenir au besoin des pauvres ; et,
lorsqu'elle n'avait rien à leur donner, elle priait pour eux, comme elle
l'a t'ait aux noces de Cana, quand, touchée de ce que le vin manquait
aux nouveaux mariés, elle dit à Jésus : « Ils n'ont plus de vin (2). »
Faisons
de même: par notre travail et nos prières Venons au secours des
pauvres. Pour les riches prions en ces termes : « Seigneur, ils n'ont
point l'esprit de pauvreté ! » et pour les pauvres prions ainsi : «
Seigneur, ils n'ont point le pain quotidien. »
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Marie ! ô mère la plus pauvre du plus pauvre des enfants des hommes, de
l'homme-Dieu ! vous qui l'avez mis au monde dans une étable, qui
n'aviez qu'un peu de foin pour l'y coucher, qui, avec lui, avez passé la
vie entière dans l'indigence, qui l'avez vu mourir dans le dénuement le
plus absolu, qui l'avez vu enseveli dans un sépulcre qui ne fut point à
lui, obtenez-nous de lui l'esprit de pauvreté et une tendre pitié pour
la misère de notre prochain ; sentiments qui vous ont fait distribuer
vos biens aux pauvres, les nourrir du travail de vos mains, et provoquer
le premier miracle de votre fils pour venir en aide à ceux qui étaient
dans l'embarras. Faites que nous n'ayons aucun attachement aux biens de
ce monde ; car votre fidèle serviteur, saint Philippe de Néri l'a dit : «
Quiconque s'attache aux trésors de ce monde ne saurait se sanctifier. »
Et sainte Thérèse, votre bien-aimée, nous apprend : « que celui qui
recherche des biens périssables périra infailliblement. » Faites que
notre seul désir et notre seul trésor soit Dieu. Il ouvrira sa main, et
nous serons rassasiés ; il ouvrira son cœur, et nos cœurs seront dans
l'abondance. Il est notre père et vous êtes notre mère, de quoi donc
nous mettrions-nous en peine ? Et si l'indigence nous accable, faites
que nous songions alors à votre pauvreté, et à celle de votre fils. Et
vous, qui êtes miséricordieux, vous accomplirez sur nous cette
bénédiction : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume
des cieux est à eux (')! »
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