Le mois de saint Joseph
7 mars
Source : Livre "Mois de Saint Joseph : composé de trois neuvaines et un triduum pour tous les jours du mois de mars" par Alexis Lefebvre
SEPTIÈME JOUR
LA PATIENCE
— PREMIERE VERTU —
Mes frères, admirez ce grand temple de travail et de patience.
(Jac. v, 10.)
Les
trois derniers jours de cette neuvaine seront consacrés à l'étude de
trois petites vertus, comme les appellerait saint François de Sales :
vertus de famille par excellence, et qui ont fait le bonheur et la
gloire de Nazareth. Ces vertus sont : la patience, la simplicité et
l'obéissance. Nous verrons qu'elles répondent admirablement aux titres
et aux mystères que nous avons déjà médités, et, nous pourrons ainsi
mettre une sorte d'unité parfaite dans tous les sujets de cette première
partie du mois.
Commençons
par la patience. Elle est bien nécessaire à tous les hommes, dit saint
Paul : patientia vobis necessaria est (Hebr. x, 36). Saint Joseph a été
le plus parfait modèle de cette vertu, pendant tout le cours de sa vie ;
mais c'est surtout dans les trois mystères de l'enfance de Jésus, qu'il
nous semble l'avoir portée jusqu'à la plus haute perfection.
—
Ainsi, à Bethléem, au jour même de la naissance du Sauveur, quand on le
repousse de toutes les hôtelleries, et qu'on lui dit qu'il n'y a pas de
place pour lui, sans doute à cause de sa pauvreté ; — et lorsqu'au milieu de la nuit, réveillé par un ange, il reçut l'ordre de partir immédiatement en Egypte, avec la mère et l'Enfant ;
— et lorsqu'il se vit obligé de revenir à Jérusalem, et de perdre trois jours à chercher partout le divin Jésus, qui était resté dans le temple, n'y avait-il pas de quoi troubler son esprit, agiter son cœur, et, disons-le simplement, de quoi impatienter même un saint ?
Mais dans ces trois circonstances, on ne peut pas surprendre une plainte, ni le moindre murmure sur ses lèvres.
— Il se retire humblement et finit par découvrir l'étable.
— Il se lève aussitôt et il part pour l'exil.
—
Il retourne à Jérusalem et cherche l'Enfant, avec douleur sans doute,
et s'attribuant peut-être la cause de ce malheur. Mais on ne voit pas
qu'il ait un seul instant perdu le calme et la patience, ou qu'il ait
proféré une plainte... Exemplum accipite, fratres, laboris et patientise
!
Je
me propose de suivre ici la méthode la plus simple et la plus ordinaire
: 1° un point de doctrine sur la vertu en question, et 2° une étude ou
un examen pratique, pour nous initier à ses œuvres.
1. Commençons par définir la patience.
Il
est remarquable que saint Thomas d'Aquin ait pris, sans y changer un
mot, la définition du grand orateur et philosophe romain ; il dit avec
Cicéron qu'elle consiste à souffrir avec courage et avec constance les
difficultés, les peines de la vie : est rerum arduarum voluntaria et
diuturna perpessio.
Saint
Augustin dit plus simplement que c'est une vertu qui nous fait
supporter la douleur ou les contrariétés, avec calme et sans nous
plaindre : virtus qua mala aequo unimo toleramus.
Mais
c'est dans le petit catéchisme espagnol du P. Ripalda que nous trouvons
la plus charmante définition de la patience : P. Que es paciencia ? R.
Tristeza moderada en los trabajos... D. Qu'est-ce que la patience ? R.
C'est une peine modérée dans les difficultés ou les travaux de la vie.
On peut donc sentir de l'ennui, du chagrin, mais on conserve le calme ;
la patience bannit la plainte, arrête le murmure. La patience suppose
une grande force, et saint Thomas dit qu'elle est même une des parties
intégrales de cette vertu cardinale : fortitudo tua patientia est.
Toutes
ces définitions conviennent également à la patience naturelle, vertu
simplement humaine et morale, et à la patience surnaturelle, vertu
religieuse et divine ; mais nous ne parlerons que de cette dernière,
dont le principe est bien plus élevé, et dont les actes sont bien plus
méritoires. Ainsi, Socrate était patient, dit-on, mais Job, Tobie, nos
saints l'ont été bien autrement. Socrate n'a pas eu même la force
d'attendre la mort, et nos martyrs la recevaient avec bonheur.
Il
faut aussi distinguer deux sortes de patience, celle qu'on appelle
intérieure, et qui consiste dans la paix du cœur, le calme de l'âme au
milieu des épreuves, et la patience purement extérieure, qui se borne à
réprimer les mouvements de vivacité, les plaintes et les murmures de la
colère. L'une prévient l'agitation et le trouble, les découragements et
les tristesses, l'abattement et le désespoir : l'autre réprime seulement
les signes d'émotion et les paroles qui pourraient paraître inspirés
par ces divers sentiments.
Pour
vous apprendre à aimer cette belle vertu, vous n'aurez qu'à la
considérer en Dieu et méditer sur les fruits précieux qu'elle doit
apporter à votre âme.
Voyez
donc la patience de Dieu, même envers les plus grands pécheurs. Il est
vrai qu'il est éternel, mais comme il les attend, comme il supporte
leurs ingratitudes et souffre leurs mépris ; comme il pardonne ! Sinite
utraque crescere ! (Matin- xiu, 50) : Laissez-les grandir, l'ivraie et
le blé, dit-il... Et solem suum oriri facit super jiistum et injustum
(Mot!h. v, 45) : Et il fait lever son soleil sur le juste et sur le
pécheur.
Mais
quelle patience surtout de Jésus-Christ, ce Dieu-homme, dans ses
souffrances, et à la mort de la croix !... tanquamovis ad occisionem
(Act. vin, 32). Il a été comme un doux agneau, sans se plaindre, au
milieu des bourreaux, qui le faisaient mourir ; et, rassasié
d'opprobres, il a gardé le silence. Jesus autem tacebat (Marc- xi, 61).
Quant
aux avantages de cette vertu, vous devrez considérer d'abord combien
elle est nécessaire dans les combats et les peines de cette vie
mortelle.
L'homme,
dans ces épreuves, le chrétien, dans ces luttes incessantes, se voient
chaque jour exposés à perdre courage, à désespérer même de leur salut.
C'est
la patience seule qui nous donne la force, et le moyen de conserver et
de sauver notre âme : in patientia vestra possidebitis animas vestras
(Luc. xxi, 19).
C'est
par la vertu de patience que nous la gardons : Per quietum dominium,
dit saint Thomas ; cet empire paisible d'un homme sur son cœur, ne peut
s'obtenir que par une douce possession de soi-même, et, de fait, dans
l'impatience et la colère, on est hors de soi, on ne se possède plus, on
n'est plus maître de soi-même, ni de ce qu'on dit, ni de ce qu'on fait ;
on ne le sait plus même quelquefois. Méditez toutes ces paroles que je
souligne, et admirez la profonde sagesse de notre langue.
Vous ne serez donc pas étonné de voir les éloges que le Saint Esprit même et les plus grands docteurs ont faits de cette vertu.
Ils semblent la mettre au-dessus de toutes les autres.
Ainsi, saint Grégoire l'appelle, comme l'humilité même, la source et la gardienne des trésors spirituels et de la grâce.
Mais
il faudra surtout méditer la parole célèbre de l'apôtre saint Jacques,
qui seule suffirait pour nous en révéler l'excellence et le mérite
incomparable : Patientia autem opus perfectum habet (Jac. i, 4) : Pour
la patience, dit-il, seule elle peut faire toutes choses bien et dans la
perfection.
On
peut donc assurer que cette vertu ferait le bonheur de la vie. Celui
qui la posséderait serait aimé des hommes et chéri de Dieu ; il
arriverait par la perfectien de ses œuvres, à régner dans les cœurs ; il
posséderait la terre, il réussirait en tout : Perfectum opus habet.
Il n'y a vraiment que la patience qui puisse faire ces merveilles.
Ainsi,
dans la nature, Dieu même travaille avec tant de patience et de douceur
; les arbres, les fleurs, tout vient, tout se fait dans le silence et
le calme ; et, dans les arts, dans les sciences, si on se presse, si on
se trouble, si on s'impatiente, on manque le but, on gâte, on perd tout.
La patience seule peut obtenir la perfection, faire un chef-d'œuvre
enfin, et nous disons, avec une vérité frappante : un chef d'œuvre de
patience : perfectum opus habet.
II. Étude pratique de la patience.
—
Nous avons ici deux questions à examiner ; d'abord par quels moyens on
peut acquérir cette vertu, et puis nous indiquerons quelques régles qui
en dirigent l'exercice ; et, pour ce dernier point, il sera très-utile
d'entrer dans les plus petits détails de la vie ordinaire, puisque la
patience doit assurer notre bonheur sur la terre et nous conduire à une
grande sainteté.
1° Il y a trois moyens pour obtenir la patience : la prière, la réflexion, le silence.
—
La prière, car la patience est une grâce et un don précieux du ciel...
Il faut la demander avec humilité, avec confiance, avec persévérance. Il
faut la demander à N. S. Jésus-Christ d'abord, à sa sainte mère, à
saint Joseph, et aux saints qui ont le plus excellé dans cette vertu,
comme saint François de Sales, etc.
La
réflexion ; non-seulement vous méditerez sur la beauté et les avantages
de celte vertu, mais, au moment de l'épreuve, vous tâcherez de vous
calmer un peu, et de ne rien décider avec précipitation. La réflexion
préviendra toujours une parole vive dont vous auriez à vous repentir
peut-être ; elle fait au moins gagner un peu de temps, et c'est déjà
beaucoup.
Le
silence ; il est difficile sans doute de le garder, quand on est vif,
mais il n'y a rien de plus efficace ; c'est arrêter la plainte, le
murmure, et calmer le premier mouvement d'impatience. Si vous ne pouvez
obtenir de vous taire, tâchez au moins de parler à voix basse, et ce
sera déjà une victoire.
2°
Mais venons à l'exercice même de cette vertu, et, afin de mettre de
l'ordre dans ces recommandations simples et pratiques, nous dirons qu'il
faut être patient, d'abord avec Dieu, quand il nous éprouve ou nous
frappe, et quand il se tait et se cache... Sustine Dominum (Ps. xxvi,
14). Attendez, priez, travaillez, souffrez, sans vous plaindre ;
cherchez-le dans la paix, vous ne le trouverez que là et à cette
condition : in pace locus ejus ; ubi Deus, ïbi patientia. Le trouble, un
empressement inquiet, le désir trop ardent du bien est déjà un mal, dit
Tertullien : malum impatientia boni est; donc,. patience avec Dieu.
Patience
avec nous-mêmes, malgré toutes nos misères, nos faiblesses et nos
fautes. Il ne faut pas s'en étonner, ni s'attrister à l'excès, bien
moins encore se fâcher ; mais supporter son âme avec douceur, et se
relever toujours avec courage, à l'imitation de saint François de Sales
qui disait après une chute : «Or sus, mon pauvre cœur... ah ! nous voilà
tombés ! relevons-nous, et nous mettons en chemin de l'humilité.
Courage, soyons désormais sur nos gardes. Dieu nous aidera, et nous
ferons prou (mieux). »
— Pensez que tel que vous êtes, Dieu vous supporte et vous aime ; patience donc !
Patience avec tout le monde : femmes, enfants, domestiques, amis, pauvres, ennemis même. Qui que vous soyez, lisez et profitez.
—
Hommes, vous êtes plus forts et plus raisonnables ; soyez donc patients
avec vos femmes, malgré tant de petits défauts, malgré leurs caprices,
leurs jalousies, leur entêtement, leurs lenteurs, leurs dépenses.
—
Femmes, vous êtes plus pieuses ; patience avec vos maris, malgré leurs
exigences, leur vivacité, leurs retards et leurs inexactitudes, malgré
leurs injustices, leurs désordres même.
—
Patience avec les enfants, malgré leurs cris, et tant d'autres défauts
de mensonge, de désobéissance, de paresse, de gourmandise, etc.
— Patience avec les domestiques, malgré leur maladresse, leur ingratitude, leur insolence même et tous leurs torts.
—
Patience avec les amis, qui abusent, qui oublient, et qui vous ruinent ;
avec les étrangers, qui vous importunent et vous accablent ; avec les
pauvres, qui vous suivent malgré vous, et qui vous obsèdent ; avec les
ennemis, qui vous poursuivent et qui vous calomnient ; patience et
pardon ; ainsi vous posséderez votre âme, et vous deviendrez maître de
tous les cœurs ; vous allez conquérir l'amour de tout le monde ;
Patience
envers les créatures, quelles qu'elles soient, animées ou inanimées, et
l'on évitera bien des peines et bien des fautes aussi. Un chasseur se
fâche contre un bon chien, tire et le tue ; un autre, contre un cheval,
peut-être excellent, et le blesse... Celui-ci, contre une clef, et la
brise dans la serrure ; celui-là, contre une plume, et la jette au feu.
J'ai vu une jeune fille se pâmer de colère contre son aiguille, elle en
tremblait, et ne put jamais y faire passer un fil. Je sais une noble
marquise qui a donné un bel exemple de patience et de douceur à un
cocher furieux qui ne pouvait, malgré ses cris et ses blasphèmes, faire
avancer des chevaux rebelles et butés ; elle descendit de la voiture, et
prenant le fouet, elle le leva, et, sans frapper, elle dit tout
doucement : « Allez, petits ! » et les chevaux obéissants marchèrent
aussitôt.
Patience
avec le chaud, le froid, la pluie, le vent, la boue, le soleil, les
maladies, et dans tous les petits accidents de la vie. On est heurté
dans la rue en passant, il ne faut pas se fâcher ; on se frappe contre
un meuble, il ne faut pas jurer ; on glisse, on tombe, il ne faut pas
crier, ni se mettre en colère pour cela. Dans toutes ces circonstances,
la patience est bien nécessaire : Patientia vobis necessaria est ; de
plus, elle est toujours utile, et la mauvaise humeur ne sert jamais de
rien. Voyons ! quand vous vous fâcherez contre la pluie et le vent !...
empêcherez-vous l'une de tomber, l'autre de souffler ?...
Mais,
c'est assez ; il ne faut pas, en parlant de la patience, s'exposer à
abuser de celle du pieux lecteur. Je lui conseille, en finissant,
d'adresser une fervente prière à Jésus, Marie, Joseph, en forme de
colloque, pour obtenir la grâce de comprendre et de goûter les charmes
de cette vertu.
Ah
! qu'elle serait heureuse et sainte, la famille dont tous les membres, à
l'imitation de Jésus, Marie, Joseph, pratiqueraient l'humilité, la
douceur et la patience de Nazareth !
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire