Le mois des âmes du purgatoire : 6 novembre
Source : Livre "Mois des âmes du purgatoire ou méditations, prières et exemples pour le mois de novembre"
VIe JOUR
Amour, résignation des saintes âmes du purgatoire.
Non pas ma volonté ô mon Père, mais la vôtre.
Ier Point. Nous nous demandons souvent avec douleur pourquoi Dieu est si peu aimé sur la terre, pourquoi les âmes même les plus parfaites, celles qui désirent le plus sincèrement l'aimer, ne parviennent jamais au degré d'amour qu'elles voudraient avoir pour lui. Pourquoi enfin, malgré toute leur bonne volonté, elles sentent parfois ce divin amour se ralentir en elles, et leurs affections ballotées, comme malgré elles, par le vent de l'inconstance et de l'instabilité humaines. La seule réponse que nous puissions faire à cette question, c'est que Dieu n'est pas connu, ou n'est connu que très imparfaitement sur la terre. Les Cieux, il est vrai, et ces millions d'astres que la main du Créateur a semé dans l'espace, nous racontent sa gloire et publient sa puissance. La nature avec toutes ses magnificences ne cesse de nous dire que Dieu est grand et qu'il est bon : lui-même s'est révélé à nous par d'innombrables bienfaits et par les saints enseignements de la foi. Et cependant les œuvres de Dieu, ses bienfaits, et les lumières de la révélation, ne nous donnent encore de cet être infini en toutes ses perfections, qu'une imparfaite idée, et ne nous le ferons connaître que d'une manière superficielle. Si nous connaissions Dieu tel qu'il est, nos cœurs se porteraient vers lui avec une force, un attrait irrésistibles, et nous ne pourrions plus aimer autre chose que lui, ni supporter la vie qui nous tient éloignés de lui.
Nous pouvons toujours , il est vrai, croître ici-bas dans la connaissance et dans l'amour de Dieu, plus nous le connaîtrons, plus aussi nous l'aimerons. Mais ce n'est qu'au Ciel que cette connaissance sera parfaite. Là seulement nous le connaîtrons tel qu'il est, là nous le verrons,
et notre âme ravie, enivrée d'un inénarrable amour, se plongera avec un
bonheur toujours nouveau dans l'éternelle contemplation de ses
perfections infinies. Les anges et les âmes des élus sont donc les seules créatures raisonnables qui aient de Dieu une connaissance parfaite ; mais après elles, celles qui le connaissent le mieux, et qui, par conséquent l'aiment davantage, sont les saintes âmes du purgatoire. Séparées de leurs corps, éloignées de tous les objets sensibles, dégagées de la matière et des sens,
elles ne voient pas Dieu comme les saints ; mais elles l'entrevoient de
loin, il se révèle à elles d'une manière que nous ne pouvons pas
comprendre ici-bas. Il les attire à lui avec une force dont rien ne peut
nous donner une idée, et allume en elles un amour qui est à la fois
leur consolation et leur plus cruel tourment.
Sûres de posséder un jour le Dieu qu'elles aiment, ces saintes âmes comprennent
tout ce qu'elles lui doivent, elles voient leur vie enveloppée toute
entière de la miséricorde de Dieu, comme d'un réseau qui les a préservées d'une infinité de dangers où elles eussent infailliblement péri sans le secours de la grâce et la vue des bienfaits
dont il les a comblées, augmente l'amour qu'elles ont pour lui ; mais
l'espoir même qu'elles ont de posséder Dieu, dit le cardinal de la Luzerne, augmente leur amour par le délai
qu'il leur fait éprouver, leur amour de Dieu qui en est accru, redouble
leurs désirs et la peine de leur privation. Ce sentiment qui fait les
désirs du paradis par la jouissance est un supplice dans le purgatoire par l'éloignement. Ainsi leur félicité future fait leur supplice actuel. »
L'amour que ces saintes âmes ont
pour Dieu est plus fort, plus profond, plus ardent que tous les amours
qu'elles ont pu autrefois éprouver sur la terre, et cet amour est à la
fois leur consolation et leur tourment. Le cœur si brûlant d'amour de la séraphique Thérèse, connut par expérience quelque chose des angoisses et des douleurs
de ce mystérieux et divin tourment. « En vain, nous dit-elle, » j'en
voudrais faire connaître la nature. L'âme parfois sent je ne sais quel
besoin irrésistible de Dieu qui la met dans un profond désert, où elle
ne voit plus rien sur quoi se reposer. Elle n'aspire qu'à mourir. Ce que
Dieu lui communique de ses grandeurs n'a pas pour but de la consoler,
mais de lui montrer à combien juste titre elle s'afflige d'être retenue
loin du bien qui renferme tous les biens.
» Alors s'accroissent et sa soif de Dieu et sa solitude. » Il ne lui
vient de consolation , ni du ciel où elle n'habite pas encore, ni de la terre à laquelle elle ne tient plus. Elle est vraiment crucifiée entre le ciel et la terre, en proie à la souffrance, sans soulagement ni d'un côté, ni de l'autre. Ce sont comme les suprêmes angoisses du trépas.
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Jésus ! qui pourrait de ceci faire une fidèle peinture ? Ce martyre est
parfois d'une rigueur si excessive que la nature a bien de la peine à le supporter.
Mes os se séparent et demeurent déboités ; mes mains sont si raides que
je ne puis les joindre ; il m'en reste jusqu'au lendemain une douleur
aussi violente que si tout mon corps eût été disloqué. Un seul désir me
consume, celui de mourir. Cet état est celui des âmes du purgatoire (1). (1) Sainte Thérèse, ch. 23 de sa vie.»
Hélas ! chez la vierge du Carmel, ce douloureux martyre n'était que passager ; dans les âmes du purgatoire,
il est permanent, nécessaire et incomparablement plus douloureux
encore, c'est lui qui les purifie et qui constitue proprement le purgatoire, et c'est surtout dans cette peine causée par l'amour, que consiste la différence qui existe entre ces saintes âmes et les âmes infortunées
que la justice de Dieu a condamnées aux peines éternelles de l'enfer.
Pour celles-là, il n'y a plus ni espérance, ni amour, il n'y a plus que le désespoir et la haine de Dieu.
IIe Point. Sainte Catherine de Gênes, dans son admirable traité du purgatoire, qu'on ne saurait trop lire, et surtout trop méditer, nous peint mieux encore les souffrances de ces saintes âmes, dont le Saint-Esprit lui avait révélé, et en quelque sorte fait expérimenter les douleurs. Écoutons-la : « Quand une âme retourne à la pureté et à la netteté de sa première création, l'instinct qui la portait vers Dieu, comme à son terme béatifique, se réveille aussitôt ; croissant à tous moments, il agit sur elle avec une effrayante impétuosité, et le feu de charité qui la brûle lui imprime un si irrésistible élan vers sa fin dernière, qu'elle regarde comme un intolérable supplice de sentir en soi un obstacle qui arrête son élan vers Dieu, et plus elle reçoit de lumières, plus son tourment est extrême.
La tache ou la coulpe du péché n'existant pas dans les âmes du purgatoire, il n'y a plus d'autre obstacle à leur union avec Dieu que les restes du péché dont elles doivent se purifier. Cet obstacle qu'elles sentent en elles leur cause le tourment que je viens de dire et retarde le moment
où l'instinct qui les porte vers Dieu comme vers leur souveraine
béatitude, recevra sa pleine perfection. Elles voient avec certitude ce
qu'est devant Dieu le plus petit empêchement causé par les restes du péché, et que c'est par nécessité de justice qu'il retarde le plein
rassasiement de leur instinct béatifique. De cette vue naît en elles un
feu d'une ardeur extrême et semblable à celui de l'enfer, sauf la tache
ou la coulpe du péché.
C'est pourquoi voyant que le purgatoire est établi pour purifier les âmes de
leurs taches, elles s'y précipitent avec bonheur et regardent comme une
grande miséricorde de trouver ce moyen de détruire en elles l'obstacle
qui les empêche de s'élancer dans les bras de leur Dieu.
La connaissance que ces saintes âmes ont de la malice du péché,
de l'injure qu'il fait à Dieu et de l'opposition qu'il y a entre celui
qui en est souillé, et ce Dieu de toute sainteté leur inspire une
vive horreur pour lui et une profonde et amère douleur de s'en être
rendus coupables ; mais cette douleur est calme, paisible, pleine de
résignation, loin d'accuser la justice de Dieu, elles l'adorent, loin de
se plaindre de la sévérité des châtiments
qu'elle leur inflige et de la rigueur de leurs souffrances, elles s'y
soumettent avec une sorte de joie, elles aiment ces souffrances qui
enlèvent insensiblement l'obstacle qui les empêche de s'unir au divin
objet de leur amour.
Reconnaître que Dieu est le bien souverain, le bien
pour lequel l'âme a été créée, son premier principe et sa fin dernière,
et ne pouvoir plus l'aimer, savoir qu'on l'a perdu par sa faute et
qu'on ne le possédera jamais, c'est la peine du dam en enfer et le plus cruel supplice des réprouvés. Aimer Dieu d'un indicible amour, être sûr de le posséder un jour et ne pouvoir encore s'unir à lui, c'est la peine du dam propre en purgatoire,
et si la haine que la privation de la grâce fait concevoir aux damnés
contre Dieu est la plus insupportable de leurs souffrances, de même
l'ardent amour que la grâce développe dans les âmes du purgatoire augmente
tellement l'intensité de leurs peines, qu'il les rend presque
supérieures à celles de l'enfer, car l'amour qui ne peut se satisfaire
est le plus grand tourment du cœur humain.
Dans les grandes peines de la vie, si la résignation , la soumission à la volonté de Dieu n'ôtent pas la douleur, du moins
ces vertus en adoucissent l'amertume au point de la rendre supportable,
et quelquefois même de la faire aimer. Mais pour les âmes du purgatoire il n'en est pas ainsi, et c'est parce
que leur volonté est parfaitement conforme à celle de Dieu qu'elles
souffrent davantage, car en vertu de cette conformité elles voudraient
être entièrement dignes de lui, et reconnaissant qu'elles ne le sont pas encore, elle se consument du désir de le devenir
à force de tourments. Ainsi, plus elles souffrent, plus elles veulent
souffrir et ne se sentent jamais rassasiées de supplices. Ainsi l'amour
qui adoucissait les tourments des martyrs augmente ceux de ces saintes âmes et devient lui-même pour elles le plus cruel et le plus douloureux de tous les martyres.
N'attendons pas pour fuir et détester le péché que nous soyons à notre tour entrés sous le domaine
de la justice de Dieu. N'attendons pas surtout pour l'expier que la
nuit où l'on ne peut plus rien faire nous ait enveloppés de ses ombres,
et que le temps où la redoutable justice du Seigneur ne se laisse pas fléchir soit arrivé pour nous, comme il est arrivé pour les saintes âmes du purgatoire. Évitons
avec soin, non-seulement les fautes graves qui pourraient nous faire
perdre l'amitié de notre Dieu, mais les plus légères, car pour une âme
qui aime Dieu, rien n'est léger de ce qui lui déplaît; elle craint plus
que la mort, tout ce qui peut le refroidir pour elle, mettre obstacle à l'effusion de sa grâce et empêcher sa parfaite union avec lui dans le temps et dans l'éternité. Aussi fuit-elle avec le plus grand soin non-seulement le péché, mais l'ombre même du péché.
Efforçons-nous
aussi d'expier par une sincère pénitence les fautes dont nous nous
sommes rendus coupables, et ne nous épargnons pas ici-bas si nous
voulons que Dieu nous épargne un jour. Maintenant Dieu se contente de
peu, et nous pouvons aisément acquitter les dettes que nous avons
contractées et que nous contractons tous les jours envers lui ; plus
tard il n'en sera plus ainsi, et sa justice exigera jusqu'à la dernière
obole l'acquit de notre dette. Ne soyons donc pas cruels envers
nous-mêmes, et ne nous préparons pas d'amers, mais trop tardifs regrets ;
détestons le péché que nous avons eu le malheur de commettre, repentons-nous sincèrement de l'avoir commis ; mais ne nous contentons pas de cela, expions-le par
la pénitence. N'oublions pas surtout que de toutes les pénitences la
plus sûre, la plus méritoire est l'acceptation humble et résignée des peines de notre état, des épreuves, des afflictions qu'il plaît à Dieu de nous envoyer. Elles sont, je le répète,
de toutes les pénitences, les plus méritoires, et par là même les plus
capables d'expier nos fautes, parce que n'étant pas de notre choix,
elles ne sont pas sujettes aux illusions de l'amour propre, qui se
glisse souvent dans celles que nous nous imposons nous-mêmes. Elles
viennent de Dieu ; c'est lui qui nous les impose, et par là même elles
sont bien plus propres à satisfaire à sa justice.
PRIÈRE.
Après
vous avoir tant offensé, mon Dieu, pourrai-je être assez ennemi de
moi-même pour ne pas profiter avec une sincère reconnaissance des moyens que vous me donnez dans votre miséricorde d'expier mes fautes et de satisfaire à votre justice, maintenant
qu'elle se contente de si peu et qu'il m'est encore si facile de la
désarmer et de la fléchir. Aidé de votre grâce et soutenu par elle, je
veux, ô mon Dieu, supporter à l'avenir toutes les peines, toutes les
afflictions qu'il vous plaira de m'envoyer avec une entière soumission à
votre sainte volonté. Cette soumission, qui est sans mérite pour les
saintes âmes du purgatoire, puisqu'on ne peut pas mériter là où elles sont, ne le sera
pas pour moi, et votre bonté acceptera mon humble résignation à votre
adorable volonté comme une marque de mon sincère repentir et du profond
regret que je ressens de vous avoir offensé, comme une expiation de ces
fautes que je déteste parce qu'elles vous ont déplu, et surtout parce
que je vous aime. Si vous frappez mon corps par d'amères afflictions,
toujours et en tout je bénirai votre main, et à travers les coups de
votre justice je verrai encore votre miséricorde qui ne me frappera dans
le temps que pour m'épargner dans l'éternité. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Sainte
Gertrude chérissait, à cause de ses hautes vertus, une de ses
religieuses qu'il plut à Dieu de rappeler à lui dans la fleur de son
âge. Après sa mort, tandis qu'elle la recommandait à Dieu avec ferveur,
elle fut ravie en esprit et la vit se présenter au Sauveur revêtue
d'ornements précieux et brillante de lumière, mais avec le visage triste et comme honteuse de paraître devant Jésus, son divin époux. La sainte, étonnée, se tourna d'abord vers le Rédempteur et le supplia d'encourager sa bien-aimée par un doux appel qui la fit avancer avec confiance. Le Rédempteur
tourna vers l'humble vierge un regard plein de bonté, et même étendit
la main vers elle en lui faisant signe d'approcher davantage ; mais
elle, encore plus confuse, paraissait se soustraire à cette invitation.
Sainte Gertrude lui dit alors : « Est-ce ainsi qu'on doit correspondre
aux grâces du céleste époux, et n'est-ce pas, au con» traire, le moyen
de se rendre indigne de lui ? » La vierge lui répondit : « Pardonnez, ô
mère ! mais je ne suis pas encore en état de presser et de baiser cette
main qui m'invite. Je suis, il est vrai, confirmée en grâce, je suis la
fiancée de l'Agneau immaculé, mais il faut que toute souillure soit
parfaitement effacée avant de pouvoir jouir de ses éternels
embrassements. Il y a encore en moi quelques taches qui offensent sa vue
très pure, et jusqu'à ce que je sois absolument telle qu'il me veut, je
n'oserai jamais entrer dans cette joie du ciel, où rien d'imparfait ne peut être admis. » (ltjdov. Blosius, in Monit. spirit., ch. xm.)
PRATIQUE
Accepter
avec résignation toutes les peines qui pourront se présenter dans la
journée et les offrir à Dieu, soit pour l'expiation de ses fautes, soit
pour les âmes du purgatoire.
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