Le mois des âmes du purgatoire : 7 novembre
Source : Livre "Mois des âmes du purgatoire ou méditations, prières et exemples pour le mois de novembre"
VIIe JOUR
Durée des peines du purgatoire.
Jusques à quand mon Dieu ! jusques à quand.
Ier Point. En considérant la rigueur, l'intensité des peines du purgatoire, peut-être nous rassurons-nous sur le sort de ceux que nous avons perdus et sur celui qui nous attend nous-même un jour, en pensant que la durée de ces terribles expiations doit être très courte. Mais, hélas ! qui oserait affirmer qu'il en soit ainsi. Dieu ne nous a rien fait connaître à cet égard, il s'est réservé le secret des mystères de son éternité, ses jugements sont impénétrables, et il ne nous est pas permis de jeter des regards envieux dans leur profondeur, et de chercher à en mesurer les abîmes.
L'Église, qui n'a rien défini sur la nature des peines du purgatoire, n'a
rien défini non plus sur leur durée, mais elle montre assez ce qu'elle
en pense, en autorisant, non-seulement les services anniversaires pour le repos de l'âme des défunts, mais les fondations par des messes et des services à perpétuité. En agissant ainsi, elle prouve qu'elle croit qu'il y a des crimes, dont la terrible expiation peut durer des siècles, et ne finir même qu'au grand jour du dernier jugement ; dès les premiers Siècles de l'ère chrétienne, nous voyons des services célébrés pour les morts, non pas seulement le jour de leurs obsèques, mais le septième et le trentième
jour après leur décès. A la fin de l'année se célébrait encore un
service anniversaire, auquel on assistait avec fidélité et empressement,
et si le jour anniversaire d'un mort tombait un dimanche ou un jour de fête, la tendre compassion des premiers fidèles pour leurs frères défunts, faisait célébrer le service la veille, afin que le soulagement que son âme devait éprouver de l'oblation du saint sacrifice ne fût pas différé.
Tous les Pères, tous les saints qui ont parlé du purgatoire, s'accordent à penser que sa durée n'est pas la peine d'un jour, et que pour bien des âmes, ces
terribles expiations sont souvent prolongées au delà de toutes nos
prévisions et de tous nos calculs. Plus de vingt ans après la mort de sa
mère sainte Monique, saint Augustin demandait encore des prières pour elle. Lui-même assure n'avoir jamais oublié de la recommander à la miséricorde divine dans la célébration des saints mystères. Mais écoutons le grand Docteur lui-même, faisant monter vers Dieu le cri de son cœur et de son amour reconnaissant, pour cette mère, le modèle des mères,
à laquelle il ne devait pas seulement la vie naturelle, mais qui par
ses prières et par ses larmes, l'avait réellement enfanté à la vie de la
grâce. « Dieu de mon cœur, » s'écriait-il, je ne songe point aux vertus
de ma mère, pour lesquelles je vous rends grâces avec joie. C'est pour
ses péchés que je vous prie. Pardonnez-lui, Seigneur, pardonnez-lui,
n'entrez point en jugement avec elle, souvenez-vous qu'étant près de sa
fin, elle ne songea point à son corps, qu'elle
ne demanda point les honneurs funèbres ; tout ce qu'elle souhaita fut
qu'on fit mémoire d'elle à votre autel, où elle savait qu'on offre la
victime sainte qui efface la cédule de notre condamnation. Inspirez, ô
mon Dieu, à tous mes frères qui liront ce que j'écris, de se souvenir à
l'autel de Monique, votre servante, afin qu'elle trouve, non-seulement
dans mes prières, mais dans celles des autres l'accomplissement de sa dernière volonté (1) (1) Confessions, livre 9, chap. 13.. »
Saint Ambroise s'engagea publiquement à prier tous les jours de sa vie pour l'âme de Théodose le Grand.
Tertullien
nous apprend que d'année en année, au jour anniversaire de la mort d'un
défunt, on renouvelait en sa faveur les prières et l'oblation du saint sacrifice comme au jour de ses funérailles, indépendamment de la commémoration que le célébrant faisait tous les jours à l'autel des morts inscrits dans les diptyques.
Ces diptyques étaient de grandes feuilles ou tablettes pliées en deux que le diacre
ouvrait et mettait sous les yeux de l'officiant. Il en faisait la
lecture à haute voix après avoir dit à l'assemblée : « Prions pour les
trépassés. » C'est ce que fait encore, avec quelques différences dans la
forme, le prêtre au second Memento du canon (2) (2) Voyez dom Guéranger.
Saint
Bernard faisait prier longtemps pour tous ses religieux après leur mort
; lui-même, pendant son noviciat à Cîteaux. disait tous les jours les
sept
Psaumes de la pénitence pour le repos de l'âme de sa mère.
Que ces prières, si longtemps continuées par les premiers fidèles et par les saints, ne nous étonnent point, puisque le vénérable Bède affirme qu'il y a des âmes qui devront souffrir jusqu'au jour du jugement dernier, à moins d'un secours extraordinaire.
Le cardinal Bellarmin, dont l'autorité est d'un si grand poids à cause de sa profonde érudition, dit lui-même que la durée des peines du purgatoire, d'après des révélations très dignes de foi, pourrait se prolonger jusqu'au jour du jugement dernier.
Combien la durée n'ajoute-t-elle pas à la rigueur des peines. Avec de l'énergie et du courage, on se résigne à une opération douloureuse ; mais s'il s'agissait de rester toute sa vie sous le scalpel du chirurgien, les forces humaines n'iraient pas jusque-là, et il n'est personne qui ne préfère la mort.
Et
maintenant, s'il est vrai que tout ce que nous pouvons imaginer, toutes
nos conjectures ne nous donnent qu'une idée imparfaite de l'intensité des peines du purgatoire, comment
penser sans trembler et sans être saisi d'une juste frayeur, que ces
peines peuvent se prolonger, non pas seulement pendant des années, mais pendant des siècles ?
IIe Point. Nous avons peine à comprendre comment Dieu, qui est la bonté même, peut imposer de si terribles et de si longues souffrances à des âmes qui lui sont spécialement chères, et dont il désire le bonheur plus encore qu'elles ne le désirent elles-mêmes. Mais quelques instants de réflexion nous convaincront que la rigueur et la longueur des peines imposées par Dieu, à quelques âmes du purgatoire, ne sont pas seulement un effet de sa justice, mais de sa miséricorde, de sa bonté et de l'amour qu'il a pour elles.
En effet, toutes les âmes détenues dans les prisons brûlantes du purgatoire n'ont pas été pendant leur vie des âmes pures,
innocentes, pleines de ferveur, d'amour de Dieu, constamment fidèles à
l'observation de ses lois, et n'ayant à expier sous l'empire de sa
justice que des imperfections et des fautes inhérentes à la fragilité humaine. Combien parmi elles ne sont revenues à Dieu qu'à la dernière heure du jour de leur vie et ne doivent leur salut qu'à un miracle de l'infinie miséricorde du Seigneur. Or, s'il y a plusieurs demeures dans la maison du Père
céleste, si les récompenses y sont distribuées selon les mérites,
pourquoi n'y aurait-il pas également plusieurs demeures dans les prisons
de la justice divine ? Pourquoi les bâtiments ne seraient-ils pas
proportionnés pour la rigueur et pour la durée à la grandeur, et au
nombre des fautes des âmes passives de cette divine justice ?
Combien
de pécheurs vieillis dans les désordres de tous genres, et dont la vie
entière s'est passée dans l'indifférence pour Dieu ; dans l'oubli de
tous leurs devoirs religieux, dans l'infraction de toutes les lois du Seigneur,
reviennent cependant à lui aux approches de la mort ; Dieu s'est laissé
fléchir par les prières, par les larmes d'une mère, d'une fille, d'une
épouse chrétienne, il a jeté sur ce pécheur un regard de compassion et
de miséricorde, un de ces regards dont la puissance change les cœurs,
l'âme du moribond s'est retournée vers lui avec un repentir sincère, le pardon du Seigneur
est descendu sur elle par la grâce de l'absolution, et elle est entrée
dans l'éternité purifiée de ses fautes qui lui ont été remises quant à
la coulpe, mais ayant à en subir toute la peine, puisque le temps de les expier par la pénitence ne lui a pas été accordé.
Or, qui ne comprend que l'expiation d'une telle âme doit être longue et terrible, qu'elle puisse même se prolonger pendant des siècles
? Qui pourrait trouver mauvais que la justice de Dieu lui fasse acheter
par de vives souffrances et de longs délais, un bonheur qu'elle n'a
jamais désiré, qu'elle a si longtemps dédaignée, et dont elle s'était,
par le nombre et par la grandeur de ses
fautes, rendue souverainement indigne. Ah ! la sainteté, l'infinie
pureté de Dieu repoussent cette âme et s'opposent à ce qu'elle vienne à
lui avant de s'être entièrement purifiée. Et la justice divine exige
impérieusement qu'elle le soit avant d'être admise au bonheur éternel.
Mais qui ne voit encore dans les longues expiations imposées à cette âme une preuve de la miséricorde, de la bonté du Seigneur,
et de son ardent amour pour les pécheurs. Il pouvait la perdre et il
l'a sauvée, il l'a arrachée par un miracle de sa grâce à l'enfer qui la
regardait comme une proie assurée ; il lui a pardonnée et il change la
peine éternelle qu'elle avait méritée et qui lui était due en une peine
temporelle, qui, quelque longue qu'on la suppose, finira toujours par
avoir un terme, et qui peut être abrégée par les suffrages et les œuvres
satisfactoires des fidèles. Oh ! combien la reconnaissance de cette âme envers Dieu doit être vive et profonde. Elle sent que s'il l'avait traitée selon ses mérites, l'enfer et le désespoir
eussent été son seul partage, qu'elle eût été condamnée à haïr Dieu
éternellement et elle peut encore l'aimer ! Elle pouvait le perdre pour toujours et elle a l'espoir, que dis-je, elle a la certitude de le posséder
un jour. Certes, ce n'est pas cette âme qui se plaindra que Dieu en
exerçant en sa faveur une si grande miséricorde ait su en même temps
sauvegarder les droits de sa justice. Il existe dans le monde une erreur bien commune, c'est la facilité avec laquelle certains chrétiens se rassurent sur le sort
éternel de ceux qu'ils ont perdu. Que la mort vienne à leur enlever un
parent, un ami tendrement aimé, quelle qu'ait été sa vie, ses principes
religieux, il leur suffit qu'un prêtre ait pu l'approcher à ses derniers
moments, et qu'il n'ait pas refusé les secours de son ministère pour
qu'ils le croient entré aussitôt après sa mort en possession de la gloire et du bonheur
éternel. C'est là une étrange et déplorable illusion qui peut être bien
préjudiciable à l'âme qui vient d'entrer dans son éternité, puisqu'elle
ne tend à rien moins qu'à la priver du soulagement
qu'elle devait trouver dans les prières de ses parents et de ses amis,
prières qu'ils ne penseront pas à offrir à Dieu pour elle puisqu'ils la
croient heureuse.
En
vain essaieriez-vous de détromper de tels chrétiens et de leur laisser
entrevoir que celui qu'ils pleurent peut bien ne pas être encore en
possession du bonheur dont ils croient
qu'il jouit déjà, ils ne vous croiraient pas, et vous répondraient que
Dieu est trop bon pour faire, encore souffrir dans l'autre vie celui
qui, déjà, a tant souffert dans celle-ci. Puis faisant l'éloge du mort,
ils Vous diront : « Il était si bon, si charitable ! Puis il a tant
souffert, et avec tant de patience, dans sa dernière maladie, que bien
sûrement Dieu lui a fait miséricorde et n'a pas différé de le récompenser
de ses vertus. » Hélas ! cette confiance présomptueuse prouve que ceux
qui tiennent un semblable langage connaissent bien peu la sainteté et la
justice de Dieu. Ah ! sans doute Dieu est bon, il est infiniment bon ,
infiniment miséricordieux, et nous ne pouvons jamais trop compter sur sa
bonté et sa miséricorde ; mais il ne faut pas confondre la bonté avec
la faiblesse et croire que Dieu ait jamais promis l'impunité au pécheur.
Il ne faut pas oublier que si le Seigneur
est infiniment bon, il est aussi infiniment juste, et que si sa bonté
pardonne au pécheur et lui remet ses fautes, sa justice d'un autre côté
en exige l'expiation.
C'est
également à tort qu'on allègue en faveur de ceux qu'on a perdu leurs
vertus naturelles, si ces vertus n'ont pas eu la foi pour principe, si
elles n'ont pas été pratiquées en état de grâce pour Dieu et pour son
amour, ce ne sont que des vertus humaines, sans aucun mérite devant Dieu et auxquelles il ne doit et n'accordera aucune récompense. Il en est de même des souffrances,
si celui qui les endure est privé de la grâce de Dieu elles lui sont
inutiles, et combien de pauvres pécheurs ne recouvrent cette grâce qu'au
moment où il ne leur reste plus qu'un souffle de vie. Ne nous rassurons
donc pas si vite sur le sort de ceux que
la mort ravit à notre amour. Comptons pour eux, comme nous y comptons
pour nous, sur l'infinie miséricorde de Dieu ; nous le devons, quel
qu'ait été leur passé ; mais souvenons-nous aussi de la justice du Seigneur, pensons que les âmes de
ceux que nous pleurons sont maintenant passives de cette inexorable
justice, et n'oublions rien pour la fléchir en leur faveur et leur
ouvrir au plus tôt les portes du ciel.
PRIÈRE.
Saisi d'effroi à la pensée de vos redoutables jugements, de l'intensité et de la longueur des peines que votre justice impose aux âmes qui ont négligé de la satisfaire ici-bas, je tombe à vos pieds, ô mon Dieu ! et plein de compassion pour ces âmes infortunées
qui ne peuvent plus vous fléchir, ni désarmer votre bras vengeur, je
viens vous supplier au nom de Jésus-Christ, notre adorable Sauveur, de
jeter sur elles un regard de miséricorde, d'oublier leurs iniquités et
de vous souvenir seulement que ces âmes sont le prix du sang
de votre divin Fils, et que ce sang précieux dont une seule goutte
aurait suffi pour sauver l'univers, vous a été offert tout entier pour
leur rançon. O Marie ! douce consolatrice de tous les affligés,
souvenez-vous que si c'est pour elles que votre cœur maternel a été
déchiré sur le Calvaire, c'est là aussi
que vous êtes devenue leur mère, là que Jésus, mourant, les a confiées à
votre amour, et puisque vous avez accepté le legs de son cœur, puisque en cet instant solennel vous avez ouvert le vôtre à la grande famille des pécheurs.
Ah ! je vous en conjure, montrez aujourd'hui que vous êtes leur mère,
intéressez-vous à elles, plaidez leur cause auprès du Seigneur, et qu'elles doivent à votre puissante intercession la fin de leur peine et leur éternel bonheur. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
La vénérable Mère, Marie-Denise de Martignat, religieuse de la Visitation, fut inspirée de se dévouer au soulagement des âmes du purgatoire. Elle communiquait bien souvent avec elles ou avec leurs anges gardiens, et voici un trait qu'elle rapporte :
« Un prince illustre se prit de querelle avec un de ses parents dans le mois de février 1644. Un duel en fut le résultat malheureux ; frappé au premier coup d'épée, le prince tomba mort.
L'Église, qui réprouve ces actes barbares, lui refusa ses suffrages ; mais la mère Denise connut, par révélation, que le malheureux prince se voyant aux prises avec la mort, fit un acte de contrition et échappa au démon ; mais son purgatoire était terrible. La vénérable Marie-Denise le vit dans le fond
de ces brûlants abîmes, condamné à souffrir pour un temps indéterminé, à
moins d'un dévouement généreux de sa part. Elle se dévoua, et cependant
toutes ses prières, toutes ses mortifications restèrent longtemps
impuissantes.
Elle
connut enfin que la justice de Dieu avait abrégé ses rigueurs de
quelques heures. Comblée de joie, elle en fit part à ses supérieures,
qui étaient étonnées de ce qu'elle faisait tant de cas d'un soulagement
en apparence si léger. Ah ! leur dit-elle, c'est beaucoup d'avoir gagné
quelques heures. Ce court espace de temps en purgatoire n'est nullement comparable aux plus longues années de la plus douloureuse maladie sur la terre.
Pendant plus de dix ans elle jeûna, se macéra le corps, pria pour cette pauvre âme. Enfin, elle obtint de Dieu d'endurer en elle une partie de ses tourments.
Dans
la maladie, résultat de cet acte héroïque, elle était en même temps
dévorée d'un feu qui la consumait, saisie d'un froid glacial qui
raidissait les parties extrêmes de son corps, son esprit était livré à des désolations mortelles.
Le sacrifice s'acheva et fut accepté du Seigneur ; toutefois, sans pouvoir obtenir la délivrance entière de la pauvre âme. » [Les Saintes Âmes du Purgatoire, par un religieux de Notre-Dame de la Trappe.)
PRATIQUE.
Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes qui sont depuis longtemps en purgatoire et offrir à Dieu en leur faveur quelques mortifications.
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