Le mois des âmes du purgatoire 9 novembre
IXe JOUR
Les âmes du purgatoire ne peuvent plus rien par elle-même. Voix d'outre-tombe.
Ayez pitié de nous, ayez pitié de nous, vous du moins qui êtes nos amis et nos frères.
Ier Point. La nuit, cette nuit profonde et terrible que notre adorable Sauveur nous avertissait de prévenir par nos œuvres, parce qu'elle doit suspendre pour toujours le travail de notre sanctification, et nous fixer pour jamais dans l'état où elle nous surprendra, est arrivée pour les saintes âmes du purgatoire qu'elle enveloppe de ses ténèbres et de ses ombres épaisses. En descendant sur elles peut-être à l'improviste, cette nuit de la mort les a fixées dans la grâce, il est vrai, mais elle leur a ôté en même temps le pouvoir d'acquérir de nouveaux mérites, et de croître en vertus. Ici-bas, lorsque nous sommes en état de grâce et que nous souffrons avec patience et résignation, non-seulement nous expions nos fautes, mais nous amassons des trésors de mérites ; chaque jour nous pouvons croître en vertu, en amour pour Dieu, et par-là même accroître la somme de notre bonheur éternel et ajouter de nouveaux degrés au trône de gloire que nous devons occuper dans le ciel. Si nous avons péché, notre repentir, nos prières et nos larmes fléchissent aisément la justice divine et nous obtiennent promptement notre pardon, parce que le temps de la vie présente est le temps de la miséricorde.
Mais il n'en est plus ainsi pour les âmes du purgatoire
; leurs souffrances, quelque grandes qu'elles soient, sont sans mérites
pour elles, maigre la patience et la résignation avec lesquelles elles
les endurent, parce que le temps de
mériter est passé et qu'elles ne sont plus une épreuve pour elles, mais
un châtiment qui doit les purifier. Elles ne peuvent plus ni acquérir de
nouvelles vertus, ni croître en amour pour Dieu. Elles l'aiment, mais
leur amour ne saurait s'augmenter d'un seul degré.
De
même, leurs prières, leurs supplications, leurs larmes, la sincérité de
leur repentir, la vivacité de leurs regrets ne peuvent plus fléchir le Seigneur, et malgré l'amour qu'il a pour ces saintes âmes,
il reste sourd à leurs gémissements, parce qu'elles ne sont plus sous
l'empire de sa miséricorde, mais sous celui de sa justice.
Plus
une âme fait de progrès dans la perfection, plus elle pratique de
vertus, plus elle acquiert de mérites, plus aussi elle s'élève vers le ciel,
où elle occupera une place d'autant plus élevée qu'elle aura aimé Dieu
avec plus d'ardeur et de générosité. Celui qui aura le plus acquis, le plus
amassé, pendant la vie, de ces trésors impérissables qui se composent
d'actes de vertus, abnégation, humilité, charité, sacrifice, brillera
parmi les élus d'une gloire proportionnée à ses mérites. L'âme fidèle
sait bien que pas un de ses actes, pas un de ses désirs, de ses
sacrifices, quelque légers qu'il soit, ne restera sans récompense, elle
sait que le Dieu pour lequel elle
agit ne se laisse pas vaincre en générosité, qu'il sera magnifique dans
ses récompenses, et cette pensée soutient son courage, enflamme son
ardeur, et lui adoucit ce que l'accomplissement du devoir et la pratique de la vertu ont quelquefois de pénible, mais il n'en est plus ainsi pour les âmes du purgatoire
; la mort en les fixant dans l'état où elle les a trouvées, en leur
ôtant l'exercice de leur volonté, leur a, par-là même, fermé à tout
jamais la carrière du mérite, et quelque
héroïques que soient leurs actes de vertus, quelque brûlant, quelque pur
que soit leur amour pour Dieu, elles n'acquièrent plus rien, leur
bonheur dans le ciel n'en sera pas augmenté d'un seul degré.
Ah ! si la souffrance est dure à supporter en ce monde, si elle est pénible à la nature, l'espérance chrétienne lui offre des compensations
qui peuvent non-seulement la faire supporter avec patience, mais encore
la faire désirer avec ardeur. N'a-t-on pas vu les martyrs tressaillir
de joie sur les chevalets, sous l'action des instruments de supplice, et se rire des plus affreux tourments. Où puisaient-ils cette intrépidité, ce courage surhumain ? Dans la pensée des récompenses
éternelles dont leurs souffrances allaient être couronnées. Cette
pensée soutenait également les solitaires au fond de leurs déserts, elle
adoucissait toutes leurs privations, et leur faisait trouver légère une
pénitence dont le seul récit effraie notre délicatesse. Mais les souffrances du purgatoire ne sont point adoucies par de telles compensations, elles sont simplement le paiement d'une dette, et s'il est permis de parler ainsi, l'absolue et pure souffrance.
Que
cette pensée, tout ce que je souffre ne peut plus ni m'acquérir de
mérite devant Dieu, ni me faire croître dans son amour, est cruelle,
désolante pour ces saintes âmes, et
combien n'ajoute-t-elle pas à leurs tourments ? Avec quelle amertume
elles regrettent la perte de ce temps qui n'existe plus pour elles, et
où il leur eût été si facile d'acquitter leurs dettes et d'accroître en
même temps le trésor de leurs mérites.
Que leur exemple nous apprenne à en l'aire un saint usage, et nous anime
à travailler avec plus de sollicitude et de ferveur à l'amendement de
notre vie.
Souvenons-nous
que la vertu ne naît pas en nous, nous devons l'acquérir à force de
combats et de sacrifices. Livrés à nos propres forces, nous serions
incapables de ces efforts, de ces combats et de ces sacrifices, mais
Dieu qui les exige de nous, ne nous abandonne pas à notre propre
faiblesse, il nous donne sa grâce pour nous aider et nous soutenir. Le travail de notre sanctification est tout à la fois l'œuvre de Dieu et celle de notre volonté. La grâce nous invite à faire le bien,
notre volonté doit coopérer à la grâce ; ainsi la vertu ne s'acquiert
que par les actes constamment renouvelés, plus nous les multiplions,
plus nous devenons vertueux et parfaits. Le travail du chrétien consiste donc à se perfectionner, autant qu'il peut, par l'exercice des vertus,
mais n'oublions pas que cet exercice ne durera qu'autant que notre vie,
et que la mort nous fixera pour jamais dans l'état où elle nous aura
surpris. Alors aussi, il n'y aura plus de temps pour nous, et comme ceux
qui nous ont précédé dans l'éternité, nous nous trouverons dans
l'impuissance d'acquitter nos dettes et de rien ajouter à la somme de
nos mérites.
II° Point. C'est donc en vain que du fond des brûlants abîmes où elles gémissent, les saintes âmes du purgatoire font monter vers Dieu le cri de leur douleur, en vain qu'elles essaient de fléchir sa justice et qu'empruntant les supplications de David pénitent, elles répètent après lui : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné ? Je crie vers vous pendant tout le jour, et vous ne m'exaucez pas. La nuit j'exhale mes gémissements et personne ne me répond. Souvenez-vous, Seigneur, de vos miséricordes, jetez dans l'oubli les égarements de ma jeunesse. Ah ! ayez pitié de moi, parce que vous êtes bon. Je suis seule, pauvre, délaissée, les afflictions se sont multipliées autour de moi. Rompez les liens qui me retiennent loin de vous, délivrez-moi des tourments que j'endure. Voyez mon humiliation et remettez-moi mes péchés. Que mon exil est long. Hélas ! Seigneur, qu'il est dur ! J'ai levé mes yeux et mon cœur vers le sanctuaire de votre gloire, comme fait le serviteur vers celui de qui dépend son sort. Miséricorde, Seigneur ! miséricorde , car ma tribulation est extrême ; mais, je le répète, c'est en vain que ces saintes âmes font monter vers Dieu le cri de leur douleur ; il reste sourd, et comme insensible à leurs plaintes et à leurs gémissements.
Où donc ces pauvres exilées trouveront-elles des secours
? A qui s'adresseront-elles pour en obtenir ? Si elles regardent autour
d'elles, elles n'y voient que les tristes compagnes de leur captivité,
qui sont aussi impuissantes à leur venir en aide, qu'elles-mêmes le sont à pouvoir leur procurer le moindre soulagement. Si elles regardent au ciel pour y chercher parmi les saints des protecteurs et des amis,
sans doute elles en trouvent ; mais si les saints peuvent par la
puissance de leur intercession auprès de Dieu leur venir en aide et leur
obtenir du soulagement, ils ne peuvent
plus, comme pendant leur vie mortelle, prendre sur eux une partie de
leurs dettes et satisfaire pour elles à la justice divine.
Dans leur profonde détresse, ces pauvres âmes tournent
leurs regards vers la terre, elles se souviennent de ceux qu'elles y
ont laissés, de ces parents, de ces amis qu'elles ont si tendrement
aimés et qui les aimaient également avec tant de tendresse et de
dévouement ; ce souvenir est pour elles une espérance, car elles
comptent encore sur un amour dont elles ont reçu tant de preuves, tant
d'assurances, elles ne croient pas qu'il ait pu s'éteindre si vite et
leur manquer au jour où elles en ont le plus
besoin ; aussi, est-ce avec une entière confiance qu'elles s'adressent à
ceux qu'elles-mêmes n'ont pas cessé d'aimer, et que dans l'affliction
qui les presse, elles leur crient : Ayez pitié de nous, ne nous
abandonnez pas, vous du moins qui êtes
nos amis et sur l'affection desquels nous comptons encore. Ah ! de
quelle compassion ne serions-nous pas saisis, si les gémissements et les
supplications de ces voix plaintives pouvaient arriver jusqu'à nos
oreilles, et que ne ferions-nous pas pour adoucir les souffrances de
ceux qui nous sont toujours chers, que nous regrettons et pleurons
encore.
Si Dieu le permettait, ce fils, cette fille qui versent des larmes si amères à la seule pensée de cette mère si tendre, si dévouée, que la mort vient de ravir à leur tendresse, entendrait la voix chérie leur crier du milieu des flammes
où elle endure de si cruelles douleurs : « Ayez pitié de moi, vous les
bien-aimés de mon cœur, souvenez-vous de mon amour, de mon dévouement, des soins
dont j'ai entouré votre enfance et votre jeunesse, souvenez-vous de mes
angoisses à la vue de vos moindres douleurs ; vos larmes ont-elles
jamais coulé sans que ma main les ait essuyées ? un seul de vos cris,
une de vos plaintes me remuait jusqu'au fond des entrailles ; pour adoucir vos souffrances rien ne me coûtait ; la nuit, le jour,
j'étais à vos côtés et je vous sacrifiais sans regret mon repos, mon
sommeil, ma santé, et j'eusse sacrifié avec joie jusqu'à ma vie pour
sauver la vôtre. Aujourd'hui, serez-vous sourds à mes cris et
insensibles à mes douleurs ? m'abandonnerez-vous au jour de ma détresse,
et me refuserez-vous le secours que
j'implore et que j'attends de votre amour ? Oh non, car. vous aussi vous
m'aimiez, vos cœurs étaient reconnaissants, et jusqu'à ma dernière
heure vous m'avez entourée de vos soins et de votre dévouement. J'y
compte encore sur ce dévouement. Offrez pour moi à Dieu votre douleur,
vos larmes, vos prières, et que votre amour, plus fort que la mort, me
suive au delà du tombeau et m'ouvre les portes du ciel. »
Ailleurs
cette mère, que la mort prématurée d'un enfant bien-aimée rend
inconsolable, l'entendrait lui crier aussi : Ayez pitié de moi, vous, ma
mère chérie, vous dont l'amour ne m'a jamais fait défaut, vous qui
m'entouriez de si tendres soins, de tant de sollicitude et de
dévouement. Ne m'abandonnez pas, vous dont la tendresse savait toujours
alléger mes souffrances ; au milieu de vos douleurs vous trouviez des paroles pour adoucir les miennes, des sourires
pour dissiper mes tristesses et ramener l'espérance dans mon cœur.
Hélas ! je souffre, je languis loin de vous. Je pleure, et personne ne
me console ; j'implore du secours, et nul
ne répond à ma voix. Ah ! soyez encore mon ange consolateur ; vous
pouvez encore essuyer mes larmes, me protéger, me délivrer des tourments
que j'endure ; soyez mon avocate, plaidez ma cause auprès de Dieu,
plaidez-la par vos larmes, par l'acceptation généreuse du sacrifice qu'il vous a imposé en m'enlevant à votre amour. Il se laissera fléchir, et après lui je vous devrai mon bonheur.
De même l'épouse entendrait son époux, la sœur son frère, l'ami son ami, implorer son secours au nom des liens
qui les unissaient ici-bas, et lui demander par leur mutuelle
affection, de ne pas les abandonner au jour où leur dévouement leur est le plus
nécessaire. Dieu ne permet pas à ces voix si tristes, si plaintives,
d'arriver jusqu'à nous ; mais les abandonnerons-nous, les
oublierons-nous parce parce que nous ne les entendons pas, parce que la
vue de leurs souffrances ne vient pas émouvoir nos cœurs et attrister
nos regards. Ah ! ne soyons pas du nombre de ceux qui oublient si vite ceux qu'ils ont aimés, ceux dont la perte leur a dans le moment causé une si vive douleur. Cessons de les ..pleurer, la source des larmes
finit par se tarir ; mais ne cessons pas de prier pour eux.
Laissons-les vivre dans notre souvenir aussi longtemps que nous vivrons,
que notre amour soit plus fort que la mort, et que notre dévouement les
suive jusque dans les profondeurs de l'éternité, pour les arracher, si
je puis ainsi m'exprimer, aux mains de la justice de Dieu.
PRIÈRE.
Accordez-moi, ô mon Dieu, d'user saintement de la vie présente et d'employer le temps
que vous m'accordez dans votre miséricorde, à faire une abondante
moisson de bonnes œuvres, à augmenter les trésors qui doivent m'enrichir
pour le ciel, mais surtout à croître
sans cesse dans votre amour. Ne permettez pas, Seigneur, que par une
coupable négligence, j'attende au dernier jour pour régler mes comptes
avec votre justice, et que je me laisse surprendre par cette nuit
redoutable de la mort qui me fixera pour jamais dans l'état où elle me
trouvera, et mettra fin au travail de ma sanctification. Aidé de votre
grâce, je veux la prévenir cette nuit et travailler avec ardeur à
l'amendement de ma vie et à l'acquisition des vertus qui me manquent pendant que le jour luit encore pour moi.
Souffrez, ô mon Dieu, que je vous recommande ces pauvres âmes que
cette nuit terrible enveloppe aujourd'hui de ses ombres ; hélas ! elles
ne peuvent plus rien, vous ne vous laissez plus fléchir par leurs
prières et par leurs larmes, et malgré l'amour que vous avez pour elles,
vous restez sourd à leurs supplications et à leurs gémissements, mais
vous nous permettez d'être leur médiateur et de nous interposer entre
votre justice et elles. Jetez donc sur ces saintes âmes, ô mon Dieu, un regard de pitié et de miséricorde, remettez-leur leurs peines au nom des mérites
de votre divin Fils, finissez leur douloureux exil, et qu'elles
reçoivent enfin de vos mains divines la couronne de justice et de gloire
que vous leur avez préparée. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Saint Nicolas de Tolentin professait une grande dévotion pour les âmes du purgatoire, et celles-ci avaient de leur côté une grande confiance dans la piété du serviteur
de Dieu. Une nuit elles lui envoyèrent pendant son sommeil Fr.
Pellegrino d'Ossino, qui avait été son ami pendant sa vie, pour obtenir
de lui des prières. Cette âme ayant appris au saint qu'elle était en purgatoire :
«Viens père, ajoutat-elle, et contemple nos misères, et l'ayant conduit
dans la grande plaine de Valmanente, saint Nicolas la vit toute
couverte de flammes ardentes, au milieu desquelles une multitude d'âmes jetaient des cris lamentables et imploraient du secours par les gestes les plus expressifs. « Vois, reprit alors l'esprit, quelles sont les peines des âmes du purgatoire, et comme elles se recommandent à ta pitié ! Elles souffrent des tourments plus atroces qu'on ne le saurait imaginer, et ne peuvent en aucune façon se secourir elles-mêmes ; mais toi, au contraire, tu le peux aisément, en offrant pour elles des prières, des pénitences, le saint sacrifice, et je te prie de dire à leur intention la messe des morts et de te livrer à d'autres exercices de piété, car si tu veux bien intercéder pour elles auprès du Seigneur, je ne doute pas que tu ne brises les chaînes brûlantes de la plupart, et qu'elles ne montent au ciel. Se réveillant à ces mots, le saint quitta aussitôt sa couche, se prosterna sur le sol, et versant un torrent de larmes, offrit à Dieu les plus ferventes prières pour ces infortunés. Le lendemain il obtint du père prieur du couvent la permission de célébrer pour eux la sainte messe pendant toute la semaine, et le fit avec tant de ferveur, que le dernier jour, Fr. Pellegrino vint le remercier de sa généreuse charité, grâce à laquelle il avait, avec beaucoup d'autres âmes, été délivré de ses peines et admis à la gloire du ciel. {In vita S. fficolai.)
PRATIQUE.
Employer aujourd'hui le temps comme on voudrait l'avoir employé au moment de la mort.
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