Le mois des âmes du purgatoire : 8 novembre
Source : Livre "Mois des âmes du purgatoire ou méditations, prières et exemples pour le mois de novembre"
VIIIe JOUR
Quelles sont les âmes qui souffrent en purgatoire.
Rien de souillé ne peut entrer dans le royaume des cieux.
Ier Point. Les âmes que Dieu éloigne momentanément de sa divine présence, et qu'il châtie avec tant de sévérité dans le purgatoire, ne sont pas seulement les âmes de ces pécheurs dont nous parlions dans le chapitre précédent, dont la vie s'est passée dans une coupable indifférence pour Dieu, dans l'omission de tous leurs devoirs religieux, et qui n'ont dû leur salut qu'au miracle de la miséricorde du Seigneur qui leur a fait recouvrer sa grâce avant leur mort. Hélas ! ces prisons brûlantes de la justice divine contiennent aussi une multitude d'âmes dont la vie a été régulière, même pieuse et édifiante, et qui sont sorties de ce monde chargées de vertus et de mérites, mais dont la robe d'innocence s'est trouvée encore souillée de quelques grains de la poussière de la terre. Ce sont, en un mot, toutes les âmes sorties de ce monde dans la grâce de Dieu, mais qui n'ont pas fait de leurs péchés une pénitence suffisante. Hélas ! le nombre en est incalculable ; car quels sont ceux parmi nous qui s'imposent une pénitence proportionnée au nombre et à la grandeur des fautes qu'ils ont commises ? Il n'y en a point ; et bien loin de s'en imposer de volontaires, on se dispense généralement, sous les plus légers prétextes, de celles qui sont obligatoires. On craint tout ce qui gêne, on évite avec le soin qu'on devrait mettre à éviter le péché tout ce qui pourrait servir à l'expier. On fuit la souffrance, elle fait horreur ; à peine peut-on supporter quelques jours de jeûne et d'abstinence, tant on craint d'altérer sa santé. Enfin, chaque jour on augmente la somme de ses dettes, sans songer jamais à les acquitter.
Dans
les siècles de foi et de ferveur, alors que l'Église voyait encore ses
enfants se soumettre humblement à ses lois, cette mère aussi sage que
tendre s'armait contre ses enfants coupables d'une sainte sévérité, et
pour les préserver des redoutables Châtiments du Seigneur, elle prenait contre eux les intérêts de sa justice en imposant pour les péchés qui avaient été publics des pénitences de trois, de cinq, de huit, de dix, de quinze ans, et même de toute la vie. Le canon quarante-cinquième prescrit sept années de pénitence pour le blasphème, le parjure
et les péchés d'impureté ; bien plus, dans la préface de ces canons
pénitentiaux, il est réglé qu'on doit imposer une pénitence de sept ans
pour tout péché mortel, quel qu'il soit. Cette ancienne discipline de
l'Église dont elle s'est départie à cause de la diminution de notre foi
et du refroidissement de notre ferveur
nous montre assez combien elle craignait pour ses enfants les châtiments
de l'autre vie, et cependant toutes ces pénitences qu'imposait l'Église
n'étaient et ne seraient encore qu'une partie de l'expiation que Dieu a
droit d'exiger de nous dans sa justice.
Parmi cette multitude d'âmes que la mort jette tous les jours au pied du tribunal redoutable du Souverain
Juge, combien y en a-t-il qui n'ont pas fait dans toute leur vie, je ne
dis pas une année, mais un seul jour de pénitence. Admettons encore que
parmi ces âmes il y en ait un certain nombre qui n'aient pas commis de fautes graves, qui pourrait supputer le nombre des fautes journalières, de ces fautes qu'on nomme vénielles, et qu'elles doivent expier dans le purgatoire. En
vérité ces fautes sont innombrables. Hélas ! combien de pensées
inutiles, de paroles oiseuses, de vaines curiosités, combien
d'impatiences, de sentiments d'amour-propre, de mouvements d'humeur
n'a-t-on pas à se reprocher seulement dans le cours d'une seule journée. Combien encore de vanité, de sensualité, de recherches dans les repas, de temps perdu au jeu, dans des promenades, des conversations inutiles, dans les plaisirs et les fêtes du monde. Quels sont ceux qui se reprochent de semblables fautes, qui pensent à les expier pendant leur vie ? Il y en a, mais le nombre en est petit. Ce sont ces fautes, cependant, qui, n'ayant pas été expiées, alimenteront le feu du purgatoire. La vie de la plupart des chrétiens
est jour par jour remplie de dettes contractées envers la justice de
Dieu, et en même temps elle est à peu près vide de toute espèce de
satisfaction. Comme cette satisfaction, après le péché, quelque léger qu'il soit, est rigoureusement exigée de la justice divine, nous pouvons d'après cela nous former une idée du nombre des âmes qu'elle retient prisonnières dans les brûlants abîmes du purgatoire.
Les âmes qui souffrent dans le purgatoire sont celles de nos parents, de nos amis, de ces justes que
nous avons connus et admirés, de ces pécheurs pour lesquels nous avons
peut-être si longtemps prié ; ce sont celles de nos concitoyens, de nos
compatriotes, celles de nos frères dans la foi. Pourrions-nous être
insensibles à leurs souffrances, les oublier, les délaisser, alors que
tant de liens, des liens si forts et si sacrés nous unissent à elles ? Ces liens sont ceux du sang
et de l'amitié ; la mort n'a pas pu les briser, mais au contraire les a
resserrés et perfectionnés en épurant notre amour par la douleur et
par le sacrifice. Ces liens ne sont pas
seulement encore ceux de la fraternité qui doivent unir entre eux tous
les membres de la famille d'Adam, mais ceux bien plus étroits encore de
la charité chrétienne qui fait de tous les fidèles les membres d'un seul
corps, dont Jésus-Christ est le chef, ou plutôt les membres de Jésus-Christ lui-même. Ces saintes âmes sont actuellement, il est vrai, des membres souffrants du corps mystique de notre adorable Sauveur, mais qui, loin d'être retranchés, seront bientôt glorifiés dans le ciel ; les liens qui nous unissent à elles sont encore ceux du patriotisme, et si nous ne sommes pas indifférents aux malheurs qui atteignent ici-bas ceux dont le berceau fut placé à côté de notre berceau, de ceux qui ont peut-être partagé les jeux de notre enfance, qui ont du moins toujours respiré l'air que nous respirons, et dont les ancêtres dorment à côté des nôtres,
pourrions-nous être indifférents à leurs souffrances et leur retirer
l'intérêt que nous leur portions pendant leur vie, parce que leurs
peines sont cachées à nos yeux. Non, non, habitants du même pays, de la même patrie, la mort ne doit pas rompre les liens qui nous unissent. Ces relations commencées dans la patrie de la terre s'achèveront un jour dans la grande patrie du ciel,
où tous nous serons réunis dans une éternelle charité ; mais tant que
nous n'y serons pas arrivés, nous devons remplir envers les âmes du purgatoire les devoirs de bons citoyens et de vrais patriotes.
IIe Point. Parmi les âmes qui souffrent dans le purgatoire il en est peut-être qui nous ont été bien chères, et ce sont celles surtout qui doivent nous inspirer une plus tendre compassion, et que nous devons nous efforcer de secourir. Hélas ! quelle est donc dans une ville la maison à la porte de laquelle la mort n'a jamais frappé, le foyer où elle n'ait pas fait de vide, la famille dont elle n'ait pas retranché quelques membres ? Ah ! ce ne sont pas seulement les vieillards qui peuvent amener ces jours de deuil qui brisent le cœur, font tant de vides dans une vie et laissent dans la mémoire de déchirants et impérissables souvenirs. La mort est impitoyable, elle frappe partout et fait tomber sous sa faux la mère du petit enfant dont les yeux s'ouvrent à peine à la lumière, la compagne du jeune homme qui croyait vieillir avec elle, le père de famille, seul appui de sa jeune épouse et de ses petits enfants. Elle arrache sans pitié la mère des bras de sa fille, la fille des bras de sa mère, le frère, l'ami, de ceux de son frère et de son ami, et parmi toutes les personnes qui liront ces lignes, il ne s'en trouvera peut-être pas une qui n'ait déjà arrosé de larmes bien amères la tombe d'un être tendrement aimé.
Telle personne se dira : parmi les âmes qui souffrent en purgatoire se trouve l'âme de ma mère, de
cette mère si tendre, si bonne, qui a veillé sur moi avec tant de
sollicitude, qui m'a entouré d'un amour et d'un dévouement qui ne se
sont jamais démentis. Elle comptait sur mon cœur comme je comptais sur le sien,
et c'était avec raison ; ses peines étaient mes peines, ses souffrances
mes souffrances, mon amour filial s'ingérait pour adoucir ses moindres
douleurs, et j'eusse donné avec joie ma propre vie pour conserver la
sienne et l'arracher à la mort. Et maintenant que la vue de ses
souffrances ne vient plus déchirer mon âme, mon amour lui ferait-il
défaut ? Pourrais-je l'oublier, la délaisser, alors qu'elle a plus que
jamais besoin de mon appui, alors qu'elle compte encore sur ma tendresse
et qu'elle en réclame le secours. Ah !
cette tendresse la suivra au delà de la tombe, elle plaidera sa cause
auprès de Dieu ; mes larmes, mes prières, fléchiront sa justice, et
puisqu'elle expie peut-être maintenant les fautes qu'un excès d'amour et
une trop grande indulgence pour moi lui ont fait commettre, je me
chargerai d'une partie de son expiation et je m'efforcerai par tous les
moyens en mon pouvoir de hâter l'instant de sa délivrance et de son
bonheur.
Tel autre se dira : l'âme qui languit en purgatoire et
dont les gémissements et la voix plaintive ne peuvent plus arriver
jusqu'à moi est celle de mon père, de ce père si bon dont j'étais la
joie et l'orgueil. Hélas ! pour assurer mon avenir et ce qu'il appelait
mon bonheur, il n'a épargné ni labeurs, ni fatigues, et pour m'amasser des richesses
ou m'assurer une honnête aisance, il a engagé ses plus chers intérêts,
ceux de son salut. Il ne souffre peut-être que pour m'avoir trop aimé ;
pourrais-je donc sans manquer à tous les devoirs
de l'amour filial, ne pas chercher à abréger ses souffrances, non pas
seulement en priant pour lui, mais en répandant dans le sein des pauvres une petite partie des biens qu'il m'a laissés. Agir autrement serait me rendre coupable d'une ingratitude que le monde ne flétrirait peut-être pas, mais que Dieu me reprocherait un jour et qu'il punirait sévèrement.
Telle
mère peut se dire : l'âme pour laquelle je dois prier est celle de
cette enfant chérie, de cette fille bien-aimée, enlevée si jeune à mon
amour. Hélas ! elle était mon idole ; plus vaine de sa beauté qu'elle ne
l'était elle-même, j'ai favorisé ses goûts de vanité, son amour pour le monde
et ses faux plaisirs, peut-être l'ai-je en quelque sorte forcée d'y
participer, me servant de mon autorité maternelle pour modérer ce que
j'appelais une piété exagérée et calmer les justes craintes de sa
conscience timorée. Ah ! puisque mon aveugle tendresse ou l'abus de mon
autorité maternelle sont cause de ses souffrances , que ne dois-je pas
faire pour y mettre un terme, et n'est-ce pas à moi à satisfaire à la
justice divine pour des fautes dont je suis responsable ?
Tel père ne peut-il pas se dire : si le fils
que je pleure aujourd'hui a abandonné la pratique de ses devoirs
religieux, il n'a fait que suivre mon exemple. Si mon regard attristé
n'ose encore s'élever vers le ciel pour y chercher celui que je regrette, c'est que, fier de lui, je n'ai songé qu'à lui faire acquérir des connaissances qui pouvaient le pousser dans le monde
et lui assurer un brillant avenir ; sa fortune, ses intérêts temporels
absorbaient tous mes soins, et oublieux de ses intérêts éternels, j'ai
négligé de former son cœur à la pratique des vertus
chrétiennes. Ce sont mes fautes, autant que les siennes, qu'il expie
maintenant. Plus coupable que lui devant Dieu, je dois à sa justice une
double satisfaction ; l'amour paternel me fait un devoir de ne pas la
différer pour celui que je pleure, et ce serait folie de la différer
pour moi-même.
Enfin, disons-le en terminant ce chapitre : toutes les âmes que renferme le purgatoire, quel qu'ait pu être leur passé, sont des âmes saintes et infiniment chères à Dieu, puisqu'elles possèdent sa grâce et ne peuvent plus la perdre. Toutes sont des pierres vivantes destinées à l'édifice de la céleste Jérusalem, et que le ciseau du divin
sculpteur achève de tailler et de polir avant de les faire entrer dans
la place qu'il leur a destinée de toute éternité. Oui ! toutes ces âmes aujourd'hui si souffrantes, si affligées, brilleront un jour comme des étoiles resplendissantes dans le séjour des élus
; quelques-unes y occuperont une place distinguée, car de légères
imperfections échappées à la fragilité humaine les empêchent seules
d'aller prendre possession du trône de gloire qui les attend dans le ciel. Soyons donc compatissants pour ces saintes âmes pendant
qu'elles ont encore besoin de notre assistance et de nos suffrages.
Bientôt les rôles changeront : elles deviendront nos protectrices dans le ciel,
nos médiatrices auprès de Dieu, et alors elles nous rendront avec
bonheur, avec usure, ce que nous aurons fait pour elles au jour de leur
affliction.
PRIÈRE.
Prosterné à vos pieds, je viens vous offrir, ô mon Dieu ! le sacrifice de ma douleur, de mes larmes et de mes prières, en faveur des âmes de ceux gui m'ont été si chers, et que mon cœur n'a pas cessé d'aimer. Vous le savez,
Seigneur, ils vivent encore dans ce cœur tout plein de leur souvenir,
et si profondément déchiré par leur perte et notre séparation. Mais ce
ne sont pas des regrets et des larmes
que ces êtres chéris me demandent aujourd'hui, ils attendent autre
chose de mon amour et de mon dévouement pour eux. C'est sur moi qu'ils
comptent pour fléchir votre justice et acquitter une partie de la dette
qu'ils ont contractée envers elle. Ah ! leur attente ne sera pas vaine,
car si la vue de leurs souffrances n'attriste plus mes yeux, si leurs
plaintes et leurs gémissements ne frappent pas mes oreilles, mon cœur
n'en est pas moins ému à la pensée de leurs peines ; peines, ô mon Dieu !
dont je suis peut-être la cause et que votre justice leur inflige pour
punir leur faiblesse, leur trop grande indulgence, et l'excès de leur
amour pour moi. Ah ! pardonnez, Seigneur, à ceux auxquels vous m'avez
uni par des liens si étroits et si doux,
et que vous me faisiez un devoir d'aimer. Laissez-vous fléchir par mes
larmes, par mes humbles prières, et par la promesse que je vous fais de
satisfaire pour eux par tous les moyens qui seront en mon pouvoir.
Daignez, ô Vierge sainte ! douce consolatrice des affligés, suppléer à mon impuissance en puisant dans le trésor des mérites de votre divin Fils et de vos propres mérites, la rançon de ces âmes si
chères que je recommande à la bonté de votre cœur immaculé, et confie
avec une entière confiance à votre sollicitude maternelle. Ainsi
soit-il.
EXEMPLE.
La sœur de saint Malachie, étant morte, fut condamnée aux flammes du purgatoire. Son pieux frère la secourut par de nombreux suffrages ; puis ayant cessé de le faire, il entendit pendant la nuit une voix inconnue lui dire que sa sœur l'attendait hors de l'église et lui demandait des consolations. Le saint
comprit quels étaient les besoins de sa sœur, et ayant repris ses pieux
exercices, il la vit à quelque temps de là, à l'entrée de l'église,
vêtue de deuil, triste et désolée. Cette vision redoubla sa ferveur, et
il ne passa pas un seul jour sans faire à son intention de grandes
œuvres de piété. L'âme alors se fit voir vêtue, non plus de noir, mais
de gris et entra dans l'église, sans toutefois avancer jusqu'à l'autel.
Son frère, à cette vue, sentit augmenter sa confiance et multiplia ses
suffrages, de telle sorte qu'il parvint à satisfaire complétement la
justice divine. Il en eut la certitude quand, à la troisième apparition,
il vit sa sœur couverte de vêtements d'une éclatante blancheur,
s'approcher de l'autel au milieu d'une troupe d'élus.
Les
divers états dans lesquels se fit voir cette pauvre âme nous font bien
connaître l'économie ordinaire de la divine Providence qui ne délivre
pas les âmes du purgatoire par un acte absolu de puissance et de volonté, mais qu'il exige d'elles, avec la justice la plus exacte, le paiement de toutes leurs dettes, acceptant toutefois les suffrages des fidèles, d'autant plus utiles à ces âmes souffrantes, qu'ils sont plus abondants. Travaillons-donc à en offrir beaucoup pour les âmes qui
nous sont chères, et que nos efforts soient si constants qu'ils leur
procurent bientôt l'éternel bonheur. (S. Bern., In vita S. Malachite.)
PRATIQUE.
Prier spécialement aujourd'hui pour nos parents et nos amis, et offrir à Dieu en leur faveur quelques œuvres satisfactoires.
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